

Victime d’un sort, un ancien aviateur de l’armée italienne qui arbore un visage de cochon affronte des pirates de l’air…
TITRE ORIGINAL
1992 – JAPON
Réalisé par Hayao Miyazaki
Avec les voix de Shûichirô Moriyama, Tokiko Katô, Bunshi Katsura, Tsunehiko Kamijô, Akemi Okamura, Akio Ôtsuka, Hiroko Seki, Reizô Nomoto, Osamu Saka
THEMA SORCELLERIE ET MAGIE
Chez Hayao Miyazaki, les avions ne sont jamais de simples machines : ce sont des personnages, des extensions de l’âme, des témoins du ciel. Porco Rosso en est peut-être la plus belle incarnation. Né de la plume du maître nippon dans les pages du magazine Model Graphix en 1989, L’Ère des hydravions n’était à l’origine qu’un manga léger, hommage au modélisme et à l’aviation vintage. Un petit délire graphique où un pilote au faciès porcin sauvait une demoiselle en détresse des griffes de pirates volants. Séduite, la compagnie Japan Airlines commande une adaptation animée, censée être courte et contemplative, à diffuser dans ses vols. Problème : Miyazaki n’aime pas faire court. Très vite, le projet gonfle, s’enrichit, s’étoffe pour devenir un long-métrage complet. Tandis que son compère Isao Takahata vient d’achever Souvenirs goutte à goutte, Miyazaki se lance dans un film « pas sérieux »… mais qui se charge de gravité à mesure que la réalité s’invite dans le projet. Le décor ? Une Adriatique idéalisée, entre l’Italie et la Yougoslavie. Et c’est justement là, pendant la production, que la guerre éclate en ex-Yougoslavie. Ce qui devait être un conte aérien devient soudain une œuvre marquée par la perte et l’exil. C’est aussi un film d’amour : pour les hydravions, ces monstres gracieux que Miyazaki redessine entièrement ; pour l’Europe, qu’il réinvente avec tendresse ; et pour l’animation, qui trouve ici un terrain d’expression à la fois populaire et adulte.


Dans l’entre-deux-guerres, quelque part au-dessus de l’Adriatique, un pilote solitaire écume les cieux à bord de son hydravion rouge vif. Son nom : Porco Rosso. Sa particularité ? Il a le visage d’un cochon. Un sort mystérieux a frappé Marco Pagot, ancien héros de l’aviation italienne, le transformant en paria au faciès bestial. Fuyant les hommes et leurs guerres, il vit en reclus sur une île secrète, prenant parfois des contrats pour lutter contre la piraterie aérienne. Mais lorsque les Mamma Aiuto, bande de joyeux pirates, kidnappent une classe entière de fillettes, Porco reprend du service. Sa victoire est de courte durée : Donald Curtis, pilote américain arrogant, l’abat en plein vol. L’hydravion coule, Marco survit. Pour réparer son appareil, il se rend en Italie où il rencontre Fio, une jeune mécanicienne aussi brillante que tenace. Ensemble, ils reconstruisent le fameux avion rouge et repartent en mission, direction l’Adriatique…
« Mieux vaut être un cochon qu’un fasciste »
Avec Porco Rosso, Hayao Miyazaki signe une œuvre atypique, presque contradictoire : une fable drôle et grave, un récit d’aventures joyeux et mélancolique. Le ton est plus adulte que dans Totoro, plus politique que dans Kiki, et pourtant, le film s’adresse à tous. Ce paradoxe est sa force. Visuellement, c’est un bijou. L’animation des vols, précise et fluide, donne le vertige. L’Adriatique rêvée par Miyazaki, baignée de soleil et de vents marins, devient un personnage à part entière. La séquence où Porco, inconscient, aperçoit les avions de ses camarades morts s’élever vers le ciel est bouleversante. Une vision poétique de la mort, aussi belle que glaçante. Le film brille aussi par ses personnages féminins. Gina, figure tragique d’un amour en suspens, incarne une forme de grâce mélancolique. Fio, elle, symbolise la relève, l’intelligence et le courage qui manquent aux hommes engoncés dans leur orgueil. C’est elle, plus que Porco, qui mène le récit vers un espoir possible. Mais Porco Rosso est surtout un pamphlet pacifiste. Miyazaki dénonce l’absurdité de la guerre, la vanité des héros déchus et l’emprise des idéologies. La phrase-clé du film — « Mieux vaut être un cochon qu’un fasciste » — résonne encore aujourd’hui avec une acuité politique inattendue. Enfin, l’humour, omniprésent, désamorce la gravité. Les Mamma Aiuto, pirates gaffeurs au cœur tendre, rappellent ceux du Château dans le ciel. Le duel final est à la fois grotesque et libérateur, comme un pied de nez à la virilité toxique. Film hybride, entre western aérien et satire politique, Porco Rosso marquera un tournant, notamment en France. Récompensé au Festival d’Annecy en 1993, salué pour sa poésie et son audace, il contribuera à faire tomber les préjugés sur l’animation japonaise.
© Gilles Penso
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