

Fernandel incarne le célèbre héros des mille et une nuits dans une relecture comique signée par l’un des plus grands cinéastes français de l’époque…
ALI BABA ET LES QUARANTE VOLEURS
1954 – FRANCE
Réalisé par Jacques Becker
Avec Fernandel, Samia Gamal, Henri Vilbert, Dieter Borsche, Édouard Delmont, Julien Maffre, José Casa, Edmond Ardisson, Manuel Gary, Gaston Orbal
THEMA MILLE ET UNE NUITS
En 1954, Jacques Becker, figure majeure du cinéma français et ancien assistant de Jean Renoir, s’aventure pour la première fois sur le terrain du film de commande avec Ali Baba et les 40 voleurs. Réputé pour des œuvres intimistes et puissantes comme Casque d’or ou Le Trou, Becker change ici radicalement de registre, répondant à une demande des studios Pathé qui veulent capitaliser sur le succès de Touchez pas au grisbi, énorme carton populaire. Le but est d’offrir un grand spectacle exotique porté par Fernandel, alors au sommet de sa popularité. Le réalisateur s’entoure de Marc Maurette et de Cesare Zavattini (scénariste du Voleur de bicyclette) pour concocter une relecture libre et fantaisiste du célèbre conte des Mille et une nuits. Le tournage débute en avril 1954 dans le sud marocain, près de Taroudant, à Ouarzazate et dans la vallée d’Agadir, avec une large figuration locale. La chaleur, les conditions de transport et la logistique complexe rendent l’expérience parfois épuisante. Les intérieurs sont ensuite reconstitués dans les studios de Billancourt. Treize semaines de tournage seront nécessaires pour mettre le film en boîte.


Dans un Orient de légende, Ali Baba (Fernandel), homme modeste et débrouillard au grand cœur, vit au service de Cassim (Henri Vilbert), un riche marchand qu’il seconde fidèlement dans la gestion de sa maison, de ses affaires et de son harem. Ami des pauvres, Ali ne se départit jamais de sa générosité, même lorsqu’il est contraint d’acheter une jeune esclave, Morgiane (Samia Gamal), sur ordre de son maître. Touché par sa grâce et sa détresse, il la protège en l’empêchant d’être livrée à Cassim, avec l’aide d’un somnifère bien dosé. Mais les choses se compliquent lorsqu’Ali doit retrouver le marchand ambulant à qui Morgiane appartenait. Il se lance à la poursuite d’une caravane, franchissant les limites de la ville jusqu’à une région désertique et peu sûre. Là, le convoi est attaqué par une bande de quarante voleurs surgis des dunes. Les marchands s’enfuient dans la panique, abandonnant leurs biens. Coincé dans une nacelle, Ali assiste en secret à une scène étonnante : les brigands font disparaître leur butin dans une montagne, dont l’entrée se referme par enchantement grâce à une formule magique – « Sésame, ouvre-toi ! ». Ali retient la formule, revient sur place et pénètre dans la caverne. Un trésor inestimable s’étale alors sous ses yeux…
Marseille Bagdad
À sa sortie en décembre 1954, Ali Baba et les 40 voleurs déroute les amateurs de Jacques Becker. Le cinéaste s’attaque ici à un registre que nous ne lui connaissions guère, dans un cadre oriental où les éléments fantastiques restent en retrait, l’aspect féerique du conte originel y perdant en intensité. L’exotisme de studio, malgré un tournage partiel au Maroc, donne à l’ensemble un parfum d’artifice, renforcé par des dialogues aux accents méridionaux qui évoquent davantage Marseille que Bagdad. Ce ton décalé, qualifié d’« Orient de Canebière » par François Truffaut, illustre bien la difficulté du film à trouver son juste équilibre. Truffaut finira pourtant par tomber sous le charme. « À la première vision, Ali Baba m’a déçu, à la seconde ennuyé, à la troisième passionné et ravi », avoue-t-il. « Il faut avoir dépassé le stade de la surprise, il faut connaître la structure du film pour que s’évanouisse la sensation de déséquilibre tout d’abord éprouvée » (1). Car malgré sa rigidité et son aspect factice, Ali Baba déploie un charme indiscutable. Fernandel impose sa bonhomie et son rythme comique avec une énergie communicative, poussant même la chansonnette sur une musique de Paul Misraki. Les décors grandioses et la présence magnétique de la danseuse Samia Gamal sont également des atouts de poids. Le résultat ? Un divertissement généreux et bigarré, qui attire plus de quatre millions de spectateurs dans les salles et continue de faire sourire petits et grands au fil de ses nombreuses rediffusions.
(1) Extrait d’un article paru dans Les Cahiers du cinéma, février 1955
© Gilles Penso
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