

Ken Russell s’empare de l’histoire vraie d’un prêtre accusé de sorcellerie pour bâtir une œuvre baroque, macabre et toujours aussi dérangeante…
THE DEVILS
1971 – GB
Réalisé par Ken Russell
Avec Oliver Reed, Vanessa Redgrave, Dudley Sutton, Max Adrian, Gemma Jones, Murray Melvin, Michael Gothard
THEMA DIABLE ET DÉMONS
En s’inspirant de la pièce Les Diables de John Whiting et du roman Les Diables de Loudun d’Aldous Huxley, Ken Russell transpose à l’écran une histoire vraie survenue au XVIIᵉ siècle, en France. À Loudun, petite ville provinciale rongée par les tensions religieuses et politiques, le père Grandier, prêtre séduisant et anticonformiste, devient malgré lui le catalyseur d’une flambée de délire collectif. Respecté par certains, haï par d’autres, Grandier attise les désirs et les rancunes. Il est notamment l’objet de la convoitise trouble de nombreuses jeunes femmes, en particulier celles du couvent local. Mais lorsqu’il décide de prendre une épouse, brisant ainsi son vœu de célibat, c’est toute une mécanique de vengeance, de frustration et d’oppression religieuse qui se met en place. La mère supérieure, sœur Jeanne des Anges, bossue et névrosée, sombre dans une forme de démence que son entourage interprète aussitôt comme une possession démoniaque. Son confesseur, le père Mignon, fait alors appel au père Barre pour procéder à un exorcisme. Très vite, c’est le couvent entier qui semble basculer dans une hystérie collective où se mêlent hurlements, convulsions, nudité et visions impies.


Désigné comme responsable de ces possessions, Grandier devient le bouc émissaire d’une société rongée par l’intolérance, où les alliances entre Église et pouvoir royal n’ont pour but que d’éliminer les voix dissidentes. Sous couvert de justice divine, on le traîne donc dans une parodie de procès et on le condamne pour sorcellerie. Ken Russell filme ce basculement dans l’absurde et l’horreur avec une audace visuelle rare. Avec ses décors monumentaux d’un blanc spectral, ses éclairages expressionnistes et ses costumes stylisés, le film adopte une esthétique théâtrale, baroque et délibérément excessive. Saisissante dans la peau de Sœur Jeanne, Vanessa Redgrave incarne une religieuse contrefaite et refoulée dont les visions érotiques prennent des allures de cauchemars christiques : elle fantasme Grandier crucifié, muant le désir en transgression mystique. Oliver Reed, imposant et magnétique, campe quant à lui un être tiraillé entre sa foi sincère et ses faiblesses très humaines. Face à la tempête qui s’abat sur lui, il reste digne, presque christique à son tour.
Sur l’autel de l’intolérance
Le film glisse vers la démesure lors de l’exorcisme central. Les sœurs se muent alors en possédées déchaînées, dans une séquence de pure déflagration visuelle et sonore, où les corps s’agitent, se dévoilent, hurlent, vomissent. À travers cette débauche incontrôlable, Russell dénonce la théâtralisation du pouvoir religieux, son goût pour la mise en scène, le spectacle et l’humiliation. Le cinéaste excelle aussi dans son usage du montage parallèle : le mariage secret de Grandier est entremêlé avec les hallucinations de Jeanne, le sermon du père Barre est juxtaposé aux divertissements décadents du roi Louis XIII. La dernière partie du film, qui décrit la torture et l’exécution publique de Grandier, est d’une intensité rare. Sans jamais verser dans le gore ou la complaisance, Russell filme le sacrifice d’un homme sur l’autel de l’intolérance. Car derrière ses excès apparents, Les Diables est avant tout un plaidoyer contre les dérives de la religion, la censure et le fanatisme d’État. Rattaché au Fantastique par son traitement et son climat (Russell n’hésitant pas à emplir l’écran de visions dantesques, comme ces squelettes de suppliciés grouillant de vers, ou cette fosse commune aux proportions affolantes), ce film longtemps censuré, banni et mutilé, est donc un réquisitoire contre l’injustice et l’intolérance, exacerbées en ces temps obscurs où tortures et jugements expéditifs étaient monnaie courante.
© Gilles Penso
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