PETITE SIRÈNE (LA) (1989)

Dans le creux de la vague, le département animation de Disney se réinvente à travers cette relecture magistrale du conte d’Andersen…

THE LITTLE MERMAID

 

1989 – USA

 

Réalisé par Ron Clements et John Musker

 

Avec les voix de Jodi Benson, Christopher Daniel Barnes, Pat Carroll, Samuel E. Wright, Rene Auberjonois, Paddi Edwards, Buddy Hackett, Kenneth Mars

 

THEMA CONTES

À la fin des années 1980, l’empire Disney vacille. Depuis Les Aventures de Bernard et Bianca, rares sont les longs-métrages d’animation à avoir suscité l’enthousiasme du public. L’éclat des grands classiques semble éteint et l’animation est marginalisée au sein du studio, reléguée dans des bureaux de seconde zone. Et puis, un chant cristallin s’élève des profondeurs marines : La Petite Sirène sort sur les écrans en 1989 et déclenche une vague inattendue. Avec Ariel, la maison de Mickey renoue non seulement avec le succès populaire, mais amorce ce que l’on appellera rétrospectivement la « Renaissance de Disney ». C’est lors de recherches personnelles que Ron Clements, alors coréalisateur sur Basil, détective privé, redécouvre le conte d’Andersen. Cette histoire de sirène éprise d’un humain, pourtant tragique dans sa version originale, lui semble pouvoir épouser les codes du musical hollywoodien. Il rédige un court traitement, qui séduit les têtes pensantes du studio, en particulier Jeffrey Katzenberg, fraîchement arrivé de chez Paramount pour restructurer la division animation. À la surprise générale, l’équipe découvre que Disney avait déjà envisagé une adaptation du conte dans les années 1930. Des croquis oubliés de Kay Nielsen, l’un des artistes de Fantasia, refont alors surface. La modernité de ces dessins inspire immédiatement les créateurs. L’idée d’une filiation entre les premiers âges d’or du studio et ce projet neuf insuffle une dynamique inattendue qui met officiellement La Petite Sirène sur les rails.

Le choix du ton musical est fondamental. Contrairement aux films produits durant la décennie précédente (Taram et le chaudron magique, Rox et Rouky), La Petite Sirène revendique ouvertement le format de la comédie musicale. Ce virage est impulsé par le parolier Howard Ashman, qui impose à la production une vision inspirée du Broadway classique. Il s’associe au compositeur Alan Menken pour créer une bande originale flamboyante, où chaque chanson fait avancer la narration et explore l’intériorité des personnages. Cette démarche impose un style, une dynamique et un souffle dramatique jusque-là inédits dans les productions Disney des années 80. Le duo Ashman/Menken affinera ensuite cette alchimie avec La Belle et la Bête et Aladdin. L’autre grand défi du film est la création d’un univers entièrement sous-marin. Plus d’un million de bulles sont dessinées à la main, tandis que certaines séquences recourent à l’animation assistée par ordinateur – encore balbutiante à l’époque – pour donner vie à certains décors mouvants. Faute de ressources suffisantes sur le sol américain, une partie de l’animation est délocalisée en Asie, notamment pour certains effets. Ce fractionnement de la production n’empêche pas l’ensemble de conserver une cohérence esthétique remarquable. Le budget devient le plus élevé de la décennie pour un film d’animation Disney, un pari osé pour ce qui est alors perçu par les dirigeants comme un « film de princesse », donc à potentiel commercial limité.

La princesse des océans

Or avec Ariel, Disney réinvente justement l’archétype de la princesse. Elle n’attend pas qu’un prince charmant vienne la délivrer et provoque son destin, quitte à se tromper et à en souffrir. Son désir d’émancipation – incarné par son obsession du monde humain – devient le moteur de l’intrigue. Si certains ont pu voir dans l’abandon de la voix un acte de soumission, nous préférons y lire le reflet d’une adolescence en quête de liberté, prise entre les injonctions parentales et l’appel du monde extérieur. C’est aussi la première héroïne Disney aux traits inspirés d’une star contemporaine. Glen Keane, superviseur de l’animation d’Ariel, s’inspire de la chevelure flamboyante et du visage d’Alyssa Milano, actrice très populaire à l’époque. Ariel devient une ado expressive, curieuse, maladroite et résolument moderne. La Petite Sirène finit par remporter un succès bien supérieur aux prévisions. Avec plus de 84 millions de dollars de recettes aux États-Unis (soit largement plus qu’Oliver et Compagnie), le film relance l’animation Disney, alors perçue comme un secteur déficitaire. Il récolte deux Oscars (meilleure musique et meilleure chanson) et ravive l’intérêt du public pour ce type de récit. Ce retour au sommet marque donc le début d’une nouvelle ère créative. Disney s’apprête à enchaîner une décennie triomphale, culminant avec Le Roi Lion en 1994.

 

© Gilles Penso

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