PEUR SUR LA VILLE (1975)

Jean-Paul Belmondo affronte un dangereux psychopathe dans ce polar musclé et vertigineux teinté de slasher et de giallo…

PEUR SUR LA VILLE

 

1975 – FRANCE

 

Réalisé par Henri Verneuil

 

Avec Jean-Paul Belmondo, Charles Denner, Adalberto Maria Merli, Rosy Varte, Roland Dubillard, Jean Martin, Catherine Morin, Germana Carnacina

 

THEMA TUEURS

En 1975, au sommet de sa popularité, Jean-Paul Belmondo passe de l’autre côté du badge. Après avoir incarné les voyous romantiques, les cambrioleurs bondissants et les dragueurs incorrigibles, l’acteur s’essaie enfin au rôle du flic. Peur sur la ville, réalisé par son fidèle complice Henri Verneuil, marque un tournant : c’est le début de l’ère du « Bébel show », taillé pour cartonner dans les salles comme dans les vidéoclubs. Henri Verneuil ne veut ni un commissaire fatigué à la Maigret, ni un enquêteur torturé façon Chandler. Il vise le spectaculaire. Son inspiration naît d’un fait divers bien réel, dans lequel des femmes harcelées au téléphone finissaient par fuir leur domicile, prises de panique. La scène d’ouverture donne le ton : une femme terrifiée saute de son balcon plutôt que d’ouvrir sa porte. Le voyeur au bout du fil devient alors l’ennemi public numéro un. Le scénario prend vite des allures de guerre du Bien contre le Mal, où le commissaire Letellier traque un tueur surnommé Minos, obsessionnel, misogyne et décidé à « nettoyer » Paris de ses péchés. Ce duel manichéen, Verneuil le filme comme un affrontement mythologique au cœur d’un Paris anxiogène, rythmé par une partition entêtante signée Ennio Morricone.

Pour donner corps à Minos, Verneuil et son coscénariste Jean Laborde s’appuient sur une documentation fouillée. Le personnage s’inspire notamment des travaux du psychanalyste Wilhelm Reich. L’œil de verre, la tenue de motard et la voix glaciale parachèvent ce portrait inquiétant. C’est Adalberto Maria Merli, acteur italien peu connu mais voix emblématique de Clint Eastwood dans son pays, qui est choisi pour incarner le Mal. La filiation avec les tueurs gantés des giallos italiens (de Six femmes pour l’assassin à L’Oiseau au plumage de cristal) est assumée. Peur sur la ville flirte en effet avec l’épouvante et l’horreur. Pour contrebalancer la noirceur du récit, il fallait un héros plus grand que nature. Letellier, c’est Bébel, bien sûr. Et c’est aussi un corps en mouvement, lancé à folle allure sur les toits des Galeries Lafayette, sur celui d’une rame de métro en marche ou accroché à un hélicoptère survolant Paris. Bien avant que Tom Cruise n’en fasse son fonds de commerce, Jean-Paul Belmondo effectue lui-même toutes les cascades. À une époque où les effets spéciaux sont encore limités, voir un acteur grimper réellement à plusieurs dizaines de mètres du sol a de quoi décoiffer. Mais Verneuil n’oublie pas le second degré. Pour injecter un peu de verve dans cette chasse à l’homme, il fait appel à Francis Veber. Le futur réalisateur du Dîner de cons signe des dialogues mordants, notamment lors des joutes verbales entre Letellier et son supérieur, campé par Jean Martin. Quant au tandem comique avec Charles Denner, il ajoute une touche d’humanité bienvenue.

Dans les griffes de Minos

Entre les lignes de ce polar violent se glisse une machine marketing bien huilée. Jean-Paul Belmondo a lancé sa propre société de production, Cerito, avec son complice René Château. Objectif : faire de l’acteur une marque. Sur l’affiche, son nom est plus grand que le titre. La recette sera répétée dans les années à venir. Le Professionnel, Le Marginal, L’Alpagueur seront tous des descendants de ce Letellier inaugural. Avec près de quatre millions d’entrées, Peur sur la ville est un raz-de-marée. En France comme à l’étranger, le public adhère au cocktail explosif d’action, d’humour, d’angoisse et de suspense. La critique, elle, est plus tiède. On reproche au film son manichéisme, la superficialité de son héros, voire un opportunisme commercial. Belmondo, jadis chouchou de la Nouvelle Vague, devient la cible d’une intelligentsia qui n’apprécie guère ses nouvelles orientations. Et pourtant, difficile de bouder son plaisir devant ce film survitaminé qui ose mélanger les genres, quitte à s’aventurer sur un territoire horrifique inattendu. Mais Peur sur la ville reste une anomalie dans le paysage français. Peu de cinéastes ont osé s’aventurer sur ce terrain depuis. Aujourd’hui encore, le film reste un modèle de divertissement populaire extrêmement bien troussé. Une œuvre qui joue la carte du frisson et du fun, avec une rigueur à l’américaine et un panache 100% français. 

 

© Gilles Penso

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