LA FELINE (1942)

Au sommet de son art, Jacques Tourneur raconte l'histoire d'une femme condamnée à se transformer en panthère à cause d'une malédiction ancestrale

CAT PEOPLE

1942 – USA

Réalisé par Jacques Tourneur

Avec Simone Simon, Kent Smith, Tom Conway, Jane Randolph, Jack Holt, Elizabeth Russell 

THEMA MAMMIFERES

« Alors que le brouillard rampe dans les vallées, nos antiques péchés s’enfouissent dans les recoins les plus bas, et la dépression dans la conscience du monde ». C’est par cette citation sinistrement poétique, issue d’un ouvrage imaginaire rédigée par l’un des protagonistes du film, que s’ouvre La Féline. En quelques lignes, le ton est donné : nous allons nous immerger dans une profonde étrangeté, où l’ombre s’immiscera insidieusement et où la suggestion l’emportera largement sur le spectaculaire. Saluée pour ses prestations dans La Bête humaine et Tous les biens de la Terre, Simone Simon incarne Irena Dubrovna, une jeune new-yorkaise hantée par la peur d’être la descendante d’une race de créatures qui se transforment en panthères dès qu’elles perdent leur virginité. Oliver Reed (Kent Smith), un architecte naval, tombe amoureux de sa touchante beauté féline et l’épouse. Mais le comportement de la jeune mariée commence à se dégrader d’inquiétante manière…

Si La Féline a fait date dans l’histoire du cinéma fantastique, c’est sans doute parce que ses initiateurs étaient vierges de toute expérience en ce domaine, offrant aux spectateurs une approche novatrice, loin des canons savamment établis depuis l’âge d’or du genre au début des années 30. Val Lewton, parachuté du jour au lendemain responsable des films fantastiques du studio RKO, chercha un moyen de transformer en atout deux obstacles de taille : sa relative méconnaissance du genre et les moyens ridicules mis à sa disposition (un budget de 135 000 dollars et trois semaines de tournage). Son premier choix consista à s’adjoindre une équipe en béton armé, constituée du réalisateur Jacques Tourneur, du monteur Mark Robson, du scénariste DeWitt Bodeen et du directeur de la photographie Nicholas Musuraca. Avec ces atouts en poche, il proposa une approche atmosphérique aux antipodes des monster movies des studio Universal. Les effets spéciaux sophistiqués n’étant guère envisageables, les éléments fantastiques sont cachés dans les ténèbres, laissant l’imagination des spectateurs matérialiser l’invisible. Lewton et son équipe muent ainsi une faiblesse en parti pris artistique.

La peur de l'invisible

Dans La Féline, la terreur nait de ce qu’on ne voit pas, le paroxysme étant atteint dans cette scène désormais mythique où une jeune femme, persuadée d’être traquée par un fauve, presse le pas dans une rue nocturne chichement éclairée par des réverbères clairsemés. La démarche s’accélère, les plans se resserrent, la bande son se charge de feulement, la tension monte, et soudain un bus entre dans le champ à l’avant-plan en crissant des pneus. Le sursaut cède le pas à la dédramatisation, en un effet de douche écossaise qui fera largement école dans le domaine du cinéma d’épouvante. Nimbé de clairs-obscurs hérités de l’expressionnisme allemand, porté par la beauté glaciale d’une Simone Simon irrésistiblement mélancolique, La Féline rapportera plusieurs millions de dollars à la RKO, et lancera deux autres futurs classiques signés par la même équipe : Vaudou et L’Homme-léopard.

© Gilles Penso

Partagez cet article