LA MOUCHE (1986)

David Cronenberg revisite un classique de la science-fiction des années 50 pour pousser à son paroxysme son exploration des mutations de la chair

THE FLY

1986 – USA

Réalisé par David Cronenberg

Avec Jeff Goldblum, Geena Davis, John Getz, Joy Boushel, Leslie Carlson, George Chuvalo, David Cronenberg, Michael Copeman

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS I SAGA LA MOUCHE

En 1982, John Carpenter proposait avec The Thing un remake surprenant d’un classique de la science-fiction des années 50, contournant son prestigieux modèle en restructurant sa construction narrative et en modernisant ses thématiques. Quatre ans plus tard, David Cronenberg suit la même voie en proposant une vision très personnelle du scénario de La Mouche noire que Kurt Neuman réalisa en 1958. Jeff Goldblum y interprète Seth Brundle, un jeune scientifique qui vient de mettre au point dans son laboratoire une invention révolutionnaire : la fameuse téléportation. Ses premiers essais sur un babouin étant catastrophiques, Brundle revoit sa copie et décide d’être lui-même le cobaye de la prochaine expérience. Il se téléporte ainsi d’un « télépode » à un autre avec beaucoup de succès. Ce n’est que plus tard qu’il réalise qu’une mouche s’est infiltrée dans le télépode pendant l’expérience.

Comme dans The Thing, monstre et humain ne sont plus dissociés mais entremêlés en une hideuse et inexorable métamorphose, qui n’est pas sans évoquer celle, pathétique, imaginée par Kafka. L’idée de génie de cette nouvelle Mouche consiste à amener la transformation progressivement et en la délocalisant sur l’ensemble de l’organisme. Car ici, la mutation de l’homme en mouche est de toute évidence associée à une maladie progressive, avilissante, destructrice et annihilatrice. Rien n’empêche d’y voir une métaphore du sida, dont les ravages commençaient sérieusement à perturber la population au milieu des années 80. Le profil physique type des héros masculins de Cronenberg, taciturnes et intériorisés dans la lignée de James Woods, Christopher Walken, Jeremy Irons ou Peter Weller, n’est pas ici respecté par la présence de Jeff Goldblum, comédien plus populaire et fort différemment typé. Il faut voir là un choix artistique brillant, que Cronenberg imposa presque à son producteur Mel Brooks (ce dernier souhaitait ardemment donner le rôle à Pierce Brosnan).

La métamorphose

Conforme à ce que le public attend de lui, dans le registre du grand timide maladroit un peu doux-dingue, Goldblum casse peu à peu cette image avec un talent indiscutable. Le voir se muer, psychologiquement et physiquement, en surhomme arrogant, en infirme pathétique puis en monstre effrayant, est autant perturbant pour le spectateur que pour la journaliste incarnée par Geena Davis. Et les maquillages spéciaux de Chris Walas, très surprenants, portent aux nues l’horreur organique inhérente au récit. L’un des thèmes fétiches de l’œuvre de Cronenberg, la mutation, est ainsi porté à son paroxysme, même si le cinéaste n’en assume pas tout à fait la récurrence. « Etant donné que je n’ai pas tendance à faire d’auto-analyse, je n’étudie pas mes propres films ni ne cherche à établir de comparaisons thématiques entre eux », nous avoue-t-il. « Ceci étant dit, la mutation est inhérente au processus de la vie, puisque toute notre existence est régie par le changement. Je dirais donc que, plus qu’un cinéaste attiré par la mutation, je suis un cinéaste qui puise son inspiration dans la vie elle-même. » (1) D’où d’inévitables filiations entre La Mouche et les films précédents de Cronenberg.

(1) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005

 

© Gilles Penso

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