L’ÎLE DU DOCTEUR MOREAU (1932)

Charles Laughton et Bela Lugosi s'ébattent dans la toute première - et sans doute la meilleure - des adaptations du célèbre roman d'H.G. Wells

ISLAND OF LOST SOULS

1932 – USA

Réalisé par Erle C. Kenton

Avec Charles Laughton, Bela Lugosi, Richard Arlen, Leila Hyams, Kathleen Burke, Arthur Hohl, Stanley Fields, Robert Kortman

THEMA MEDECINE EN FOLIE

La première version cinématographique officielle du roman « L’île du Docteur Moreau », que H.G. Wells publia en 1896 et qui annonçait avec des décennies d’avance les dangers de la manipulation génétique, date de 1933, année faste pour le cinéma fantastique puisque ce fut également celle de King KongMasques de Cire et L’Homme Invisible. Signée Erle C. Kenton, qui se spécialisera plus tard dans le recyclage folklorique des Dracula, Frankenstein et autre Loup-Garou d’Universal, cette Island of Lost Souls (littéralement « L’île des âmes perdues ») est probablement l’un des films d’épouvante les plus terrifiants de l’époque, et son impact ne s’est guère amoindri aujourd’hui. Le docteur Moreau y fait des greffes expérimentales sur des animaux et les transforme en caricatures de l’homme. Ayant dû quitter l’Angleterre à cause de manifestations contre la vivisection, il s’est retiré dans une île privée où il peut jouer à être Dieu vis-à-vis de ses créatures.

Bien que le film de Kenton, produit par le studio Paramount, date de l’âge d’or du cinéma fantastique américain, il ne s’inscrit pas vraiment dans la lignée des classiques d’Universal ou de la RKO, dont l’esthétique est largement inspirée par l’expressionnisme allemand, et bénéficie de décors extérieurs naturels filmés à Catalina island. Ce qui n’empêche pas pour autant cette Ile du Docteur Moreau de dégager un climat malsain, une angoisse assez dérangeante due en grande partie à Charles Laughton, détestable en docteur Moreau bien en chair et doucereux. Cette atmosphère pesante est également imputable aux insulaires bestiaux dont l’aspect monstrueux n’est expliqué que tardivement, et à ces cris terrifiants qui déchirent le silence, provenant de la mystérieuse « maison de la souffrance ». Autre élément troublant : Lota, la belle et insouciante sauvageonne qui s’éprend du héros, lequel, fiancé à une blondinette citadine, n’est pas insensible à son charme exotique… jusqu’à ce qu’il découvre que Lota est une panthère transformée en humaine par Moreau, et que ses ongles longs sont en réalité des griffes de fauve ! Cette idée très forte, bien qu’absente du roman de Wells qui ne contient aucun personnage féminin, eut un tel impact qu’elle fut réutilisée dans les deux adaptations suivantes.

Lota la femme panthère

A l’instar de Boris Karloff dans Frankenstein ou d’Elsa Lanchester dans La Fiancée de Frankenstein, la comédienne Kathleen Burke, interprète de Lota qui n’avait que 19 ans à l’époque, ne fut pas mentionnée dans le générique de début, son nom étant remplacé par un mystérieux « The Panther Woman ». La foule d’« humanimaux » clamant la loi, dirigée par un Bela Lugosi couvert de poils, fait froid dans le dos et se révolte finalement contre Moreau en le découpant à coup d’instruments chirurgicaux. Ce lynchage sanglant se déroule hors champ, mais tout de même, quel choc ! Le tout se termine par un grand incendie purificateur – et presque libérateur pour le spectateur – sacrifiant quant à lui à la tradition des grands classiques de l’épouvante. Pendant plusieurs années, le film fut tout bonnement interdit en Angleterre, et l’on prétend que Wells lui-même fut proprement choqué par cette adaptation.

 

© Gilles Penso

Partagez cet article