LA PIEL QUE HABITO (2011)

Pedro Almodovar détourne l'argument des Yeux sans visage pour placer au cœur d'un récit à rebondissements la question de l'identité sexuelle

TITRE ORIGINAL

2011 – ESPAGNE

Réalisé par Pedro Almodovar

Avec Antonio Banderas, Elena Anaya, Marisa Paredes, Jan Cornet, Roberto Alamo, Eduard Fernadez, Jose Luis Gomez 

THEMA MEDECINE EN FOLIE

Même s’il adaptate librement le roman « Mygale » de Thierry Jonquet, publié en 1995, le scénario de La Piel que Habito (un titre qu’on pourrait traduire littéralement par « la peau que j’habite ») a surtout les allures d’une nouvelle variante de celui des Yeux sans Visage, Pedro Almodovar semblant recycler les thèmes du classique de Georges Franju comme le fit à plusieurs reprises son compatriote Jess Franco quelques décennies plus tôt. Le poster du film, qui montre un masque blanc révélant le regard de la comédienne Elena Anaya, semble renforcer la référence. Mais en réalité, seul l’argument initial tisse un lien tangible entre les deux films. Depuis que sa femme a été victime de brûlures dans un accident de voiture, le docteur Robert Ledgard, éminent chirurgien esthétique, se consacre à la création d’une nouvelle peau, grâce à laquelle il aurait pu sauver son épouse. Douze ans après le drame, il réussit enfin à cultiver cette peau dans son laboratoire privé. Mais pour pouvoir la tester, il lui faut une femme cobaye. Avec la complicité de Marilia, la femme qui s’est occupé de lui depuis le jour de sa naissance, il finit par trouver le sujet idéal…

Bien vite, les multiples rebondissements de cette intrigue à tiroir s’avèrent animés d’une vie propre, reflétant de manière très intime les obsessions récurrentes de son auteur. Au-delà de son goût indiscutable pour le mélodrame et pour les relations sentimentales déviantes, Almodovar place le questionnement de l’identité sexuelle au cœur de son récit. Le sujet fut parfois trivial face à sa caméra volage. Ici, il devient profondément dramatique, voire philosophique ou même métaphysique. En convoquant la science et ses incroyables avancées technologiques, en muant son acteur fétiche Antonio Banderas en émule ténébreux et tourmenté du docteur Frankenstein, le réalisateur de Talons Aiguille nous interroge sur la nature humaine. Que reste-t-il de nous lorsque la médecine peut nous transformer au point de nous transfigurer intégralement ? Si l’intégrité physique initiale n’est plus respectée, qu’en est-il de l’esprit ? Doit-il suivre la mutation ? Derrière l’argument de science-fiction, c’est toujours la préoccupation humaine qui titille le cinéaste. C’est elle qui transforme la séquence finale – au fort potentiel vaudevillesque – en moment d’émotion contenue mais intense.

Une fin ouverte et troublante…

Compositeur attitré d’Almodovar depuis La Fleur de mon secret, Alberto Iglesias renforce l’impact du film en se référant souvent aux travaux de Bernard Herrmann. « Il est vrai que je suis souvent influencé par Herrmann mais aussi par les compositeurs que lui-même appréciait, notamment Prokofiev, Bartok et Puccini », avoue Iglésias. « Les indications que me donne Pedro Almodovar sont rarement d’ordre musical. Nous parlons surtout des séquences en termes d’émotions. Il sait exactement ce que les personnages doivent faire ressentir à chaque moment. » (1) Lorsque l’incroyable vérité du film éclate, lorsque les langues se délient, de nouvelles portes narratives s’ouvrent et d’autres histoires se profilent. Mais Almodovar laisse ses spectateurs en plan, leur offrant le loisir de poursuivre eux-mêmes en imagination les péripéties de ses protagonistes. 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en avril 2004

 

© Gilles Penso

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