BATMAN V SUPERMAN (2016)

Zack Snyder prend la suite directe de Man of Steel pour conter l'affrontement titanesque entre le Chevalier Noir et l'Homme d'Acier

BATMAN V SUPERMAN

2016 – USA

Réalisé par Zack Snyder

Avec Henry Cavill, Ben Affleck, Gal Gadot, Jesse Eisenberg, Amy Adams, Jeremy Irons

THEMA SUPER-HEROS I EXTRA-TERRESTRES I SAGA DC COMICS I SUPERMAN I BATMAN

Le cas Snyder : véritable auteur visionnaire pour certains, abominable bourrin pour d’autres. Enfermé depuis 300 dans l’enfer des adaptations de comics et constamment conspué par l’impitoyable communauté geek, l’homme tente à nouveau d’imposer son style si particulier à l’univers DC après un Man of Steel en demi-teinte. Le cahier des charges est de taille : renouveler le personnage de Batman après tant d’incarnations différentes, étoffer son propre Superman, faire la nique au concurrent Marvel qui explose régulièrement le box-office, et annoncer les univers parallèles à venir. Pari relevé qui alterne ici les fulgurances et les déceptions. Dès l’introduction, Snyder est bel et bien là. On voit immédiatement que le “Dark Knight Returns” de Frank Miller est l’influence principale (quitte à le piller sans vergogne ni royalties), notamment sur l’inévitable séquence de la mort des parents de Bruce Wayne et de la découverte de la Batcave. Mais loin de se borner à décalquer bêtement les cases de la BD (cruel manque de point de vue du Rodriguez de Sin City), le réalisateur insuffle une ampleur tragique très puissante au trauma du futur justicier. 

L’excellente idée de refaire la séquence finale de Man of Steel du point de vue de Wayne réussit à la fois à justifier en un éclair le profond antagonisme en titre, à poser un regard distancié de spectateur sur les agissements de Superman et à instaurer un réalisme glaçant. Nous sommes loin de la glorification primaire et adolescente des Avengers. Outre ce traitement plus adulte et cette mise en scène solide et inventive qui le caractérise, Snyder se démarque encore plus de la concurrence dans l’épaisseur qu’il confère aux personnages, aidé il est vrai par un casting impliqué. Ben Affleck en premier s’impose avec classe, et une présence physique impressionnante : le Chevalier Noir de Miller, c’est bel et bien lui, large, dépressif et effrayant. Henry Cavill est toujours aussi touchant, rappelant souvent le fragile et inoubliable Christopher Reeve, et Amy Adams trouve enfin sa place en Loïs Lane. Dans les nouveaux venus, Jeremy Irons compose un Alfred idéal (très proche encore une fois du majordome cynique et hilarant de Miller), et Gal Gadot incarne Wonder Woman en véritable Walkyrie. Surprise, Kevin Costner fait même un coucou émouvant. Seul bémol niveau interprétation, Jesse Eisenberg qui rate complètement la cible Luthor, en totale roue libre et desservi par des dialogues over the top soulignés par les ridicules envolées emphatiques de Zimmer et Junkie XL (ce dernier pousse même le vice jusqu’à nous ressortir quasiment le thème de Fury Road sur une vision post-apo !). 

Moments d'anthologie et passages obligatoires

La première heure du film se tient donc très bien, cultivant une alternance équilibrée entre les deux super-héros et installant une atmosphère captivante. En deuxième partie, ça se gâte… Car Snyder semble se faire rattraper par les exécutifs de Warner et ce satané cahier des charges anti-artistique. Il faut absolument aiguiser l’intérêt des fans DC sur les autres films à venir, et annoncer l’arrivée des personnages de la Justice League, Aquaman, Flash et consorts. Cependant, là où un yes man lambda remplirait simplement la basse besogne, Snyder insère des mini-teasers sous la forme de vidéos dans le film. Pied de nez génial et cynique sur la génération youtube ? A chacun de le prendre comme il le désire. Les passages obligés ne s’arrêtent pas là, le face-à-face avec le gros Doomsday tire à la ligne dans des destructions massives rebattues chez Marvel, même si la mise en scène est comme toujours truffée de trouvailles jouissives. Le scénario se prend soudain lui aussi les pieds dans le tapis, mélangeant maladroitement des visions du futur et du passé, perdant le rythme dans son va-et-vient entre les protagonistes, coupant court quand il faudrait s’étendre et insistant sur une lourde symbolique christique déjà étayée dans Man of Steel. On prend donc peur, le summum étant atteint sur le bête moment du « prénom » qui unit les deux ennemis. L’idée de ce rapprochement Œdipien et Fordien pourrait toucher au cœur, mais on se croirait plus dans un ZAZ à cet instant. Dommage. Le réalisateur de Watchmen reprend heureusement le contrôle dans les moments intimes entre Loïs et Clark, et dans les séquences d’action impliquant Batman (là où Christopher Nolan échouait à cadrer correctement un coup de pied) : le travelling circulaire qui oppose la chauve-souris et des monstres dignes d’Harryhausen, la puissante et stylée Batmobile, la violence du clash avec Superman, et surtout le démentiel et brutal sauvetage de Martha Kent (qui s’accompagne d’un humour bienvenu très old school)… Autant de moments d’anthologie réjouissants. On attend donc avec impatience un Director’s Cut (ce qui manquait cruellement à Man of steel) pour rétablir la balance, donner du corps à un ensemble parfois brouillon, et démontrer à ceux qui en doutent encore que Zack Snyder fait du bien dans le maelström Hollywoodien.

© Julien Cassarino

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