LE DAIM (2019)

Jean Dujardin incarne un homme tellement obsédé par son blouson en daim qu’il va se transformer en tueur en série…

LE DAIM

 

2019 – FRANCE

 

Réalisé par Quentin Dupieux

 

Avec Jean Dujardin, Adèle Haenel, Youssef Hajdi, Albert Delpy, Julia Faure, Marie Bunel, Thomas Blanchard, Tom Hudson, Pierre Gommé

 

THEMA TUEURS I OBJETS VIVANTS

Un film de Quentin Dupieux est toujours une expérience déconcertante qui ne s’apparente à rien de connu, même si le cinéphile trouvera peut-être quelques furtives connexions entre l’univers de Monsieur Oizo (son nom de musicien) et celui de Bertrand Blier, ne serait-ce que parce que les deux hommes semblent éprouver une certaine attirance pour la banalité la plus triviale qu’ils pimentent d’ingrédients insolites et absurdes jusqu’à quasiment basculer dans le surréalisme. Le Daim ne déroge pas à la règle, oscillant bizarrement entre la comédie dramatique et le film d’horreur, offrant à Jean Dujardin un rôle pour le moins singulier et partant d’un postulat gentiment extravagant.

Entre une comédie populaire de Guillaume Canet (Nous finirons ensemble) et une chronique historique de Roman Polanski (J’accuse), Dujardin trouve donc le temps de se glisser dans la peau du « héros » imaginé par Dupieux, autrement dit Georges, un quadragénaire désabusé qui quitte sa banlieue pavillonnaire sur un coup de tête pour partir s’isoler dans un village de montagne. Sur la route, pris d’une étrange pulsion, il s’arrête dans une station-service et se débarrasse de sa vieille veste. Quelques kilomètres plus loin, il fait l’acquisition d’un blouson à franges en daim pour lequel il se soulage de ses dernières économies. Désormais sans le sou, rejeté par son ex-femme qui lui raccroche au nez et bloque son compte en banque, il s’installe dans un petit hôtel et sympathise avec la barmaid du coin, à qui il fait croire qu’il est cinéaste. Mais l’obsession qu’il développe pour son blouson en daim se transforme en aliénation. Bientôt, Georges imagine que son vêtement s’adresse à lui et lui fait part de son rêve : être le seul blouson au monde qui soit porté par un être humain. Pour concrétiser ce désir improbable, notre homme s’empare d’une pale de ventilateur qu’il mue en arme acérée et se transforme en tueur en série…

Faut-il chercher un sens ?

Erratique, biscornu, abracadabrant, le scénario du Daim donne presque l’impression de s’improviser au fur et à mesure de son déroulement. Il serait d’ailleurs tentant d’accuser Quentin Dupieux de fumisterie, comme s’il filmait ses comédiens de manière aléatoire en espérant avec cynisme que la « hype » surgisse de cet imbroglio de scènes cocasses. Mais sa démarche n’est sans doute pas aussi simple. Le personnage de Denise, incarné par Adèle Haenel, mérite par exemple qu’on s’y attarde. Monteuse amateur qui travaille dans un bar pour arrondir ses fins de mois, elle est la voix de la raison, en parfaite opposition aux élucubrations de Georges. Elle cherche du sens là où il n’y en a pas, s’amuse à remonter Pulp Fiction dans l’ordre chronologique, croit déceler dans les images arbitraires que Georges filme avec son caméscope le potentiel d’un grand film, interprète la fascination vestimentaires du pseudo-cinéaste comme une salve contre les apparences et une quête de la vraie nature humaine… Bref, elle rationnalise à outrance, comme pourraient le faire les spectateurs et les critiques en cherchant à comprendre le discours qui se cache derrière le film de Quentin Dupieux. « Ne cherchez pas à analyser un objet expérimental qui ne se prête pas à une approche intellectuelle », semble vouloir nous dire le réalisateur. Et comme pour confirmer cette idée selon laquelle la quête de sens peut nuire à l’œuvre, Denise résume sa réaction après avoir visionné son remontage chronologique de Pulp Fiction : « c’était nul ! » Le Daim est d’ailleurs d’autant plus insaisissable qu’il se joue des étiquettes, s’inscrivant dans une temporalité floue plus proche des années 80 que des années 2020 et confrontant deux acteurs aux univers à priori antithétiques : Jean Dujardin, symbole absolu du cinéma populaire, et Adèle Haenel, égérie maintes fois primée du cinéma d’auteur. Comme pour mieux brouiller les pistes, c’est cette même Adèle Haenel qui quitta avec fracas la 45ème cérémonie des Césars, scandalisée que l’on puisse primer Roman Polanski pour J’accuse, dont le rôle principal est justement tenu par… Jean Dujardin !

 

© Gilles Penso

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