UNE SIRÈNE À PARIS (2020)

L’artiste Mathias Malzieu réinvente « La Petite Sirène » d’Andersen dans le cadre atemporel d’un Paris de carte postale

UNE SIRÈNE À PARIS

 

2020 – FRANCE

 

Réalisé par Mathias Malzieu

 

Avec Nicolas Duvauchelle, Marilyn Lima, Tchéky Karyo, Rossy de Palma, Alexis Michalik, Romane Bohringer, Lola Bessis, Lou Gala, Nicolas Ullmann

 

THEMA CONTES

Musicien, chanteur, écrivain, cinéaste, Mathias Malzieu est un artiste complet dont l’univers très personnel semble pouvoir se décliner sans heurt d’un média à l’autre. Connu des mélomanes en tant que leader du groupe Dinoysos, il fit ses premiers pas dans la mise en scène en coréalisant en 2013 avec Stéphane Berla le film d’animation Jack et la mécanique du cœur d’après l’un de ses romans. Cinq ans plus tard, il se livre au même exercice avec un autre de ses écrits, « Une sirène à Paris », en laissant une fois de plus la musique prendre une part importante dans la narration. Deux différences majeures sont cependant à noter par rapport au film précédent : cette fois-ci Malzieu est seul derrière la caméra, et les images animées ont cédé le pas aux prises de vues réelles et donc aux acteurs en chair et en os. Notre homme n’abandonne pas tout à fait l’animation pour autant, mêlant les techniques pour mieux servir sa vision poétique du monde, comme en témoigne un générique enjoué dans lequel s’enchaînent les images de synthèse visualisant le déploiement d’un livre « pop-up », la stop-motion old-school qui offre une vision très stylisée du protagoniste qu’incarnera Nicolas Duvauchelle et les images « live » du même personnage arpentant sur ses rollers les trottoirs de Paris.

L’acteur qui fut repéré en 1999 dans Le Petit voleur, et qui nous a plutôt habitués jusqu’alors à des rôles de durs et de mauvais garçons, incarne ici Gaspard, chanteur dans une péniche-cabaret que tient son père Camille (Tchéky Karyo), le « Flower Burger ». Dans ce lieu qui semble s’être arrêté dans les années 40, et où les habitués se font appeler les « surpriseurs », Gaspard chante ses déceptions amoureuses avec une voix de crooner. Le film profite ainsi des talents vocaux de Duvauchelle qui, entre deux films, s’amuse à pousser la chansonnette dans des groupes aussi disparates que Cry Havoc, Les Skalopes, Candy Rainbow ou Hangman’s Chair. Or un soir, alors qu’il bat le pavé sur les quais, Gaspard tombe nez à nez avec Lula (Marilyn Lima), une sirène échouée et blessée qu’il ramène chez lui et soigne dans sa salle de bains. Lula est la dernière de son espèce, et son chant est fatal pour tous les hommes qui ont le malheur de l’entendre. Submergés par un trop plein d’émotions, ils succombent en quelques minutes, en proie à une euphorie excessive qui fait littéralement exploser leur cœur. Mais si Gaspard n’est pas insensible aux charmes de la jeune femme-poisson, il semble immunisé contre cet envoûtement musical. Son cœur a tant été brisé dans le passé qu’il ne reste plus aucune place pour y loger le moindre sentiment amoureux. Or notre chanteur s’attache de plus en plus à la belle qui, sentant le danger venir, lui demande instamment de la ramener dans la Seine…

French Splash

Bien sûr, le concept même du film ne manque pas d’évoquer « La Petite Sirène » d’Andersen et ses nombreuses adaptations et relectures (avec en tête le long-métrage animé des studios Disney et le Splash de Ron Howard). Mais l’univers de Mathias Malzieu est suffisamment singulier pour échapper à ces influences, même si d’autres cinéastes nous viennent naturellement à l’esprit au fil du métrage, notamment Michel Gondry (avec qui il partage un goût certain pour les effets spéciaux bricolés à la main), Jean-Pierre Jeunet (pour cette vision romantico-désuette d’un Paris de carte postale) ou même Tim Burton (le temps d’un court film achrome en stop-motion qui raconte les mésaventures d’une sirène à deux têtes).  Frais, léger, sans prétention, Une Sirène à Paris nécessite un certain abandon de la part des spectateurs pour accepter ce trop-plein de naïveté et de bons sentiments. Les élans poétiques du cinéaste aident certes à faire passer la pilule, mais il est honnêtement difficile de se laisser embarquer pleinement dans ce conte qui se construit au mépris de la logique la plus élémentaire (malgré la conviction de Duvauchelle dont les dialogues même les plus improbables sonnent juste en toute circonstance). On sent bien que le film existe moins par intérêt pour ses protagonistes que « pour la beauté du geste », pour reprendre les termes employés par le personnage qu’incarne Rossy de Palma. Il y a pourtant une idée fascinante dans ce récit, celle d’une « non-histoire d’amour ». Pour que le lien entre Gaspard et Lula ne soit pas brisé, il faut en effet que le premier ne tombe jamais amoureux de la seconde, au risque de ne pas en ressortir vivant. « Je suis tellement contente de ne vous faire aucun effet » dira la sirène au chanteur autour d’un dîner romantique. Mais cet enjeu reste flou, noyé dans les eaux colorées d’une féerie sans doute trop doucereuse pour convaincre totalement.

 

© Gilles Penso

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