20 000 LIEUES SOUS LES MERS (1954)

L’adaptation somptueuse d’un des plus célèbres romans de Jules Verne, portée par la vision commune de Richard Fleischer et Walt Disney

20 000 LEAGUES UNDER THE SEA

 

1954 – USA

 

Réalisé par Richard Fleischer

 

Avec Kirk Douglas, James Mason, Paul Lukas, Peter Lorre, Robert J. Wilke, Ted de Corsia

 

THEMA MONSTRES MARINS

Au début des années 50, Walt Disney est déjà au sommet de sa gloire. Coup sur coup, Blanche-Neige et les sept nains, Pinocchio, Fantasia, Dumbo, Bambi, Cendrillon, Alice au pays des merveilles et Peter Pan l’ont propulsé dans la stratosphère du cinéma d’animation, à des années lumières de ses concurrents. Tout en continuant activement à creuser ce sillon, le père de Mickey cherche désormais à se diversifier. L’une des activités parallèles dont il rêve est la création d’un parc de loisirs, ce qui donnera naissance à Disneyland. L’autre est la production de films « live » à grand spectacle. Pour le premier de cette série qu’il espère fructueuse, il opte pour une adaptation du classique de Jules Verne « 20 000 Lieues sous les mers », publié en 1869, et souhaite convaincre Richard Fleischer de passer derrière la caméra. Ce choix semble a priori surprenant. A l’époque, le réalisateur s’est surtout spécialisé dans les films noirs, à quelques encablures donc du cinéma d’aventure à grand spectacle. D’autre part, son père Max Fleischer est le seul homme qui ait véritablement fait de l’ombre à Walt Disney. Vétéran de l’animation, il porta à l’écran Betty Boop, Popeye, Superman et Gulliver avec beaucoup de succès, avant la faillite de son studio en 1942. Disney a-t-il contacté Richard Fleischer pour offrir une sorte de seconde chance à la famille de l’homme qui fut son « ennemi » le plus tenace ? A moins qu’il ait été impressionné par l’habileté du cinéaste à filmer des scènes d’action dans les couloirs exigus du train de L’Énigme du Chicago-Express ? Ou, comme il le déclara lui-même sous forme de boutade, parce qu’il fut agréablement surpris de voir la capacité de Fleischer à diriger un comédien aussi ingérable que Bobby Driscoll (qui prêtait sa voix au héros de Peter Pan) dans Sacré printemps ? Toujours est-il que le réalisateur et le producteur se serrèrent la main, avec la bénédiction de Max Fleischer, et accouchèrent ensemble de l’un des plus beaux films d’aventures de tous les temps.

Dès son générique, 20 000 lieues sous les mers nous invite au voyage. Les crédits s’affichent sur un grand rideau éclairé par des reflets aquatiques, puis le film s’étend sur toute la largeur du Cinemascope, un format que Fleischer expérimente pour la première fois. L’Océan Pacifique, apprend-on, abrite un monstre mystérieux qui s’attaque aux navires. Le gouvernement britannique délègue alors une mission pour enquêter en mer. Le professeur Arronax (Paul Lukas) est chargé de cette opération. Accompagné de son conseiller (Peter Lorre) et d’un vaillant harponneur (Kirk Douglas), Arronax découvre que le monstre est en réalité un sous-marin, le « Nautilus », dirigé par le capitaine Nemo (James Mason), un misanthrope mégalomane qui dirige une expédition punitive dans les profondeurs sous-marines. C’est le début d’une odyssée spectaculaire à laquelle le studio Disney alloue un confortable budget de cinq millions de dollars.

La lutte des monstres marins

Jules Verne n’aurait pu rêver plus somptueuse transcription de l’un de ses écrits sur grand écran. Le casting, prestigieux, s’attache autant au protagoniste incarné par Kirk Douglas qu’à son opposant qu’interprète James Mason. De fait, le manichéisme n’est pas vraiment de mise dans le film, chaque spectateur étant libre de d’opter pour le camp qu’il préfère. L’altier capitaine Nemo est-il un super-vilain ou un sauveur de l’environnement ? Le paillard Ned Land est-il une figure héroïque admirable ou un rustre dénué de finesse ? Fleischer ne se prononce pas, les notions de bien et de mal ayant toujours volontairement été brouillées au fil de sa filmographie éclectique. Le Nautilus, que la populace prend pour un monstre marin au début du film, est une création magnifique de soixante mètres de long, conçue grandeur nature par le directeur artistique John Meehan. Sa décoration rétro-futuriste est dominée par un orgue splendide et sa carapace extérieure évoque les dragons des légendes. Du coup, l’attaque du calamar géant, époustouflant climax de cette aventure de haute tenue, prend les allures de l’affrontement titanesque de deux monstres antédiluviens. Pour l’anecdote, une première version de cette séquence fut tournée au coucher du soleil. Son absence totale de crédibilité poussa Disney à financer un second tournage, dans un environnement cette fois-ci orageux et nocturne, le vétéran Ub Iwerks dirigeant l’animation du céphalopode géant. Le succès de 20 000 lieues sous les mers est colossal, incitant d’autres producteurs à s’intéresser de près à Jules Verne (comme en témoigne par exemple le Voyage au centre de la terre de Henry Levin) et propulsant la carrière de Richard Fleischer, lequel quittera définitivement le « ghetto » de la série B dans lequel l’avait enfermé le studio RKO pour s’épanouir dans des genres de plus en plus variés. 20 000 lieues sous les mers aura aussi permis la première rencontre physique de Walt Disney et de Max Fleischer, point de départ d’une amitié inattendue qui durera plusieurs longues années.

 

© Gilles Penso

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