RÉALITÉ (2014)

Un apprenti-réalisateur part en quête du gémissement ultime pour son projet de film de science-fiction

RÉALITÉ

 

2014 – FRANCE / BELGIQUE

 

Réalisé par Quentin Dupieux

 

Avec Alain Chabat, Jonathan Lambert, Élodie Bouchez, Kyla Kenedy, John Glover, Eric Wareheim, Erik Passoja, Matt Battaglia, Susan Diol, Patrick Bristow

 

THEMA CINÉMA ET TÉLÉVISION

Au début, l’histoire est assez simple. Insolite mais simple. Une petite fille prénommée Réalité (Kyla Kenedy), vit dans la forêt avec ses parents. Un jour, son père chasse un sanglier et le dépèce. Or au milieu des entrailles de l’animal, la fillette voit une cassette vidéo. Comment a-t-elle pu se retrouver dans le corps de la bête ? Et que contient-elle ? Le mystère ne se résout pas tout de suite, car tous ces personnages sont ceux d’un film dont les images sont projetées au puissant producteur Bob Marshall (Jonathan Lambert). Ce dernier a rendez-vous avec Jason Tantra (Alain Chabat), un cameraman de télévision qui souhaite réaliser son premier long-métrage. Il s’agit d’un film de science-fiction dans lequel les postes de télévision envoient des ondes dans le cerveau des humains et les détruisent. Marshall est prêt à financer le projet, à condition que Jason trouve le gémissement idéal. Notre homme se met donc à enregistrer toutes sortes de cris sur son dictaphone, au grand dam de sa compagne psychologue (Elodie Bouchez). Les frontières entre le monde réel (celui de l’apprenti-réalisateur) et le monde de la fiction (celui de la fillette) sont donc clairement balisées. Mais ces univers distincts ne vont pas tarder à s’interpénétrer. Les personnages réels et fictifs finissent par se croiser, voire à interagir au milieu d’un rêve. Plus le film avance, plus les niveaux de réalité s’emmêlent. Le temps s’altère, les événements se répètent, les personnages se dédoublent, les lieux se modifient en cours de scène… Et pourtant, bizarrement, presque miraculeusement, la double ligne narrative reste limpide, comme si tous ces artefacts typiquement cinématographiques (l’altération de l’espace et du temps) n’entravaient pas le bon déroulement de l’intrigue principale.

En ce sens, la démarche de Quentin Dupieux se rapprocherait presque de celle d’un Alain Resnais, ou plus encore d’un David Lynch dont le cinéaste semble parfois s’affirmer comme le pendant burlesque. A l’instar du réalisateur de Lost Highway, Dupieux est rétif à toute explication logique. Bien sûr, il est toujours possible d’essayer de justifier les événements du film, de remettre les choses dans l’ordre, de trouver une raison rationnelle à tout ça. Mais ce serait oublier le fameux monologue d’introduction de Rubber, qui prônait justement le surgissement de l’illogisme dans la plupart des grands films. L’histoire du pneu psychopathe que Dupieux réalisa quatre ans plus tôt s’achevait d’ailleurs aux portes d’Hollywood, siège de l’action de Réalité et parfait symbole du miroir aux illusions. Pour enfoncer le clou, une des scènes de Réalité montre Chabat sortir d’un cinéma qui affiche Rubber 2. Mais ce qui lie ces deux films est encore plus profond. La première version du scénario de Réalité, écrite avant Rubber, racontait en effet l’histoire d’un réalisateur qui rêvait de faire un film sur un pneu assassin. Dans l’attente de pouvoir financer Réalité, Dupieux tourna finalement Rubber. Le film dans le film est devenu un film à part entière. Vertigineux, non ?

Une boucle sans fin

On sent bien que le motif de la boucle fascine le cinéaste. Boucle temporelle, boucle spatiale, et donc naturellement boucle sonore. D’où l’utilisation d’une seule musique pendant toute la durée du métrage : les entêtantes cinq premières minutes de « Music with changing parts » de Philip Glass qui finissent par entrer dans le cerveau des spectateurs comme des ondes invasives… celles que le cinéaste Jason Tantra imagine pour son film de science-fiction. Dans le rôle de deux français expatriés à Los Angeles, Alain Chabat et Elodie Bouchez excellent, apposant un jeu naturaliste sur une intrigue pourtant absurde. On ne peut pas en dire autant de Jonathan Lambert. Un peu à côté, surjouant trop, ne sonnant pas toujours aussi juste qu’il le faudrait, il peine visiblement à trouver le ton approprié. C’est le seul bémol de ce film labyrinthique, nouvelle pierre surréaliste ajoutée à l’édifice biscornu de la filmographie de Mr. Oizo.

 

© Gilles Penso



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