RUBBER (2010)

Un film drôle, gore et absurde dans lequel un pneu prend vie pour se transformer en tueur en série !

RUBBER

 

2020 – FRANCE

 

Réalisé par Quentin Dupieux

 

Avec Roxane Mesquida, Haley Ramm, Stephen Spinella, Thomas F. Duffy, Jack Plotnick, Wings Hauser, Daniel Quinn, Devin Brochu, Remy Thorne, Courtnay Taylor

 

THEMA OBJETS VIVANTS

Pour son troisième long-métrage, Quentin Dupieux s’installe dans le désert californien, décide de filmer à l’aide de deux appareils photo Canon Mark II, s’astreint à un planning de tournage de quatorze jours pour un budget étriqué avoisinant les 800 000 dollars et dirige un casting intégralement anglophone. Cette multiplication de challenges et de contraintes l’incite à pousser le plus loin possible ce qui deviendra le leitmotiv de sa démarche artistique : une culture joviale de l’absurdité doublée d’une critique adressée à ceux qui cherchent désespérément du sens là où il n’y en n’a pas. L’insolite et la loufoquerie s’installent dès les premières secondes du film. Des chaises joliment disposées en plein désert sont renversées par une voiture du coffre duquel émerge un policier en uniforme. Ce dernier s’adresse directement à la caméra pour affirmer que tous les grands films possèdent au moins un élément que rien ne peut expliquer, appuyant son raisonnement sur E.T., Love Story, Massacre à la tronçonneuse, JFK et Le Pianiste. Il achève son monologue en déclarant que le film que nous nous apprêtons à visionner est justement une sorte d’ode à l’inexplicable. Nous voilà prévenus.

Rubber raconte l’histoire d’un pneu qui émerge soudain du sable, s’éveille à la vie sans la moindre raison, commence à rouler dans le désert, comme mû par une vie propre, et s’amuse à détruire les bouteilles et les boîtes de conserve qu’il croise. Quand il ne les écrase pas, il parvient à les faire exploser à distance. « Psychokinésie ! », commente quelqu’un. Car non content de cette intrigue passablement insensée, Quentin Dupieux croit bon d’y ajouter une couche supplémentaire d’excentricité en montrant un groupe de spectateurs qui regardent le film en échangeant des commentaires. Si ce n’est qu’au lieu d’être assis dans une salle de cinéma, ce public est debout au milieu du désert, équipé de jumelles, observant par le biais d’un miracle qui nous échappe des événements se déroulant plusieurs kilomètres plus loin. Les contours qui séparent la fiction de la réalité s’érodent ainsi peu à peu, au fil des déambulations du pneu destructeur. Après avoir anéanti quelques objets, ce dernier s’en prend à des animaux qu’il désintègre avec une apparente jubilation : un scorpion, un lapin, un oiseau. Comme on peut s’y attendre, ses victimes suivantes sont des humains, dont il fait exploser la tête à distance comme dans Scanners !

Un serial killer en caoutchouc

Le savoir-faire technique et l’inventivité en effervescence de Dupieux, véritable couteau-suisse qui cumule les postes d’auteur, de réalisateur, de directeur de la photographie, de monteur et de compositeur, dotent ce film à tout petit budget d’une patine impeccable. Les étendues désertiques de Palmdale et de Lancaster occupent tout l’écran avec une belle photogénie, accompagnés d’une bande originale électro co-écrite par Dupieux (sous son habituel pseudonyme de Mr. Oizo) et son complice Gaspard Augé. Les effets spéciaux eux-mêmes rivalisent d’ingéniosité. Car les goûts du cinéaste et les moyens à sa disposition ne s’accordent pas à un recours intensif aux effets numériques. Le pneu tueur se déplace donc grâce à une série de mécanismes et de moteurs radiocommandés, et les têtes qui explosent dans d’hallucinantes gerbes de sang s’appuient principalement sur des effets pyrotechniques bricolés en direct devant la caméra. Plus le récit avance, plus le lien entre les deux intrigues (les exactions du psychopathe en caoutchouc et le comportement des spectateurs aux jumelles) se resserre, l’une influant sur l’autre jusqu’à quasiment muer le fil narratif de Rubber en abstraction. Quatre ans plus tard, Dupieux poussera encore plus loin ce jeu de miroir tendu entre le monde réel et le monde fictionné dans un long-métrage au titre éloquent : Réalité.

 

© Gilles Penso

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