LA MACHINE (1994)

Un psychiatre spécialisé dans le cerveau tente une expérience dangereuse qui consiste à mêler sa substance psychique avec celle d’un tueur désaxé

LA MACHINE

 

1994 – FRANCE

 

Réalisé par François Dupeyron

 

Avec Gérard Depardieu, Nathalie Baye, Didier Bourdon, Natalia Wörner, Erwan Baynaud, Claude Berri, Marc Andréoni, Christian Bujeau

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I DOUBLES

« Le cerveau d’un psychopathe dans le corps d’un psychiatre ». Tel était le slogan qu’on pouvait lire sur l’affiche de La Machine au moment de sa ressortie en VHS. La formule est efficace, frappante, vendeuse. Et il faut reconnaître qu’elle décrit bien le postulat de cette œuvre hybride, à mi-chemin entre le drame, le thriller, l’horreur et la science-fiction, qui semble annoncer avec quelques années d’avance le principe du Volte/face de John Woo. Car ici aussi, tout est question d’inversion de personnalités et donc de quête d’identité. Quand il découvre le roman de René Belletto, François Dupeyron sent qu’il tient là la possibilité d’aborder frontalement l’axiome cher au Robert Stevenson de « Docteur Jekyll et Mister Hyde » : le mal réside en chacun de nous et ne demande qu’une étincelle pour s’éveiller. Diplômé de la prestigieuse IDHEC (le nec plus ultra des écoles de cinéma françaises jusqu’à sa transformation en FEMIS), co-créateur d’un collectif de cinéastes militants d’extrême-gauche, auteur et réalisateur du prestigieux Drôle d’endroit pour une rencontre avec rien moins que Gérard Depardieu et Catherine Deneuve en tête d’affiche, Dupeyron n’est à priori pas l’archétype d’un cinéaste attiré par le fantastique, l’anticipation et l’épouvante. Il s’y plonge pourtant à corps perdu – et sans concession – à l’occasion de cette Machine qui ne sera pas du goût de tous mais dont il faut saluer l’audace et le jusqu’auboutisme.

De retour face à la caméra de Dupeyron, Depardieu incarne Marc Lacroix, un psychiatre renommé qui mène une existence tranquille auprès de son épouse Marie (Nathalie Baye) et de son fils Léonard (Erwan Baynaud). Mais notre homme développe depuis longtemps une obsession autour des mystères du cerveau humain. Ses recherches l’amènent à construire dans le plus grand secret une machine qui lui permettrait de comprendre comment se forment l’esprit et les pensées. Il ne lui reste plus qu’à trouver un cobaye pour la mettre en route. C’est alors que Lacroix fait la connaissance de Michel Zyto (Didier Bourdon), un dangereux psychopathe accusé du meurtre sauvage de plusieurs jeunes femmes. Enfermé dans un institut spécialisé, cet homme à la personnalité déviante et à la pathologie forte fascine Lacroix, qui décide bien vite de tester sur lui sa machine. Zyto accepte sans trop savoir où il met les pieds. Mais l’expérience tourne mal et les conséquences vont s’avérer catastrophiques.

Dans la peau d’un autre

S’il côtoie de près les thématiques développées par « L’étrange cas du docteur Jekyll et de Monsieur Hyde », La Machine nous renvoie aussi au Prométhée moderne décrit par Mary Shelley dans « Frankenstein », puisque nous avons une fois de plus affaire à un scientifique bafouant les lois de la nature pour donner naissance à un monstre incontrôlable. Dans le cas présent, le fruit de ce péché par orgueil est l’interversion du cerveau du « héros » et du « méchant ». C’est là que La Machine rejoint le techno-thriller de John Woo. Sauf qu’ici, les choses sont un peu plus compliquées. Car dès sa première apparition, Didier Bourdon nous est plus sympathique que Gérard Depardieu, le psychopathe étant présenté comme une victime malade et le médecin comme un être vantard et dissimulateur. Du coup la transformation ne fait qu’accentuer ce sentiment, au lieu de l’inverser. Le tueur dans le corps de Depardieu est beaucoup plus effrayant que lorsqu’il gardait son enveloppe corporelle originale, et le médecin coincé sous les traits de Bourdon suscite enfin notre empathie. Tout se passe comme si chacun avait conservé quelques traits de sa personnalité première et les avait exacerbés. Dupeyron adopte des parti pris de mise en scène surprenants collant au mieux à son sujet. Témoin cette séquence un peu vertigineuse en caméra mi-subjective mi-objective où Zyto, dans le corps de Lacroix, découvre l’immensité de la maison du médecin dont il occupe le corps, aux accents d’une musique obsessionnelle de Michel Portal. On pourra regretter le choix d’une narration en flash-back, qui gâche l’effet de surprise du climax, et les nombreuses incohérences qui jalonnent le scénario et en atténuent fatalement l’impact. Il n’en demeure pas moins que La Machine sait provoquer une angoisse insidieuse et un malaise permanent, collectant les moments de suspense diablement efficaces, ce qui ne l’empêcha pas d’être largement boudé par la critique au moment de sa sortie.

 

© Gilles Penso



Partagez cet article