TERRITOIRES (2010)

De retour d’un mariage au Canada, cinq amis traversent la forêt en voiture pour regagner les États-Unis. Mais à la frontière, leur destin bascule…

TERRITOIRES

 

2010 – FRANCE / CANADA

 

Réalisé par Olivier Abbou

 

Avec Roc LaFortune, Sean Devine, Nicole Leroux, Cristina Rosato, Michael Mando, Alex Weiner, Stephen Shellen, Tim Rozon, Vlasta Vrana

 

THEMA TUEURS

Pour son premier long-métrage, Olivier Abbou se laisse influencer par le cinéma américain engagé des années 70, celui de Massacre à la tronçonneuse et de Punishment Park. Pour autant, il ne souhaite pas imiter ses aînés mais plutôt se laisser imprégner de leur atmosphère délétère, celle d’une Amérique ayant perdu ses repères, transformant ses anciens héros devenus indésirables en parias et en rebuts de la société. Toutes proportions gardées, l’ombre de Taxi Driver, de Combat Shock et de Rambo plane aussi un peu sur le scénario de Territoires, qui part d’une situation relativement connue pour transporter les spectateurs ailleurs, sur un territoire incertain et résolument inconfortable. Très attaché à la forme de son film, qu’il veut âpre et brutal mais très soigné esthétiquement, Olivier Abbou s’entoure de deux metteurs en scène aux styles marqués à qui il confie des postes artistiques clé. Le réalisateur Karim Hussain (Subonscious Cruelty, La Belle bête) prend ainsi en charge la photographie granuleuse du métrage, tandis que le cinéaste Douglas Buck (Sisters) s’occupe du montage. Ainsi parrainé par ses aînés, Olivier Abbou s’installe au Canada avec un casting local et se lance à corps perdu dans un film conçu pour être vécu comme une expérience éprouvante.

Territoires démarre à la manière de beaucoup de films de genre, comme s’il fallait prendre le public par la main pour mieux le déstabiliser quelques minutes plus tard. À bord d’un 4×4, cinq amis reviennent d’un mariage au Canada et rentrent aux États-Unis. Une fâcheuse rencontre avec un animal sur la route a endommagé l’un de leurs phares. Au beau milieu de la nuit, ils sont arrêtés en pleine forêt par deux douaniers de la police des frontières. Ce contrôle de routine pourrait n’être qu’anecdotique. Mais les fonctionnaires en uniformes sont visiblement suspicieux et zélés. Après quelques questions d’usage, l’interrogatoire devient plus insistant, plus inquiétant. La tension devient palpable, pénible, suffocante… En quelques minutes, Olivier Abbou parvient à nous saisir à vif. Il ne nous relâchera plus jusqu’à la fin du film, conçu comme un cauchemar d’autant plus angoissant qu’il est ancré dans une réalité terriblement tangible.

Dommages collatéraux

Le climat excessivement anxiogène de Territoires s’assortit de pointes de violences qui frôlent les excès du « torture porn » sans toutefois y céder. Car la terreur est ici plus psychologique que physique, même si l’intégrité corporelle de nos cinq protagonistes est sans cesse en péril. Les infortunés automobilistes ne nous ayant guère été présentés pendant un prologue somme toute très bref, c’est dans l’adversité que nous allons les découvrir. Mais il apparaît rapidement que leur psychologie et leur caractérisation intéressent moins Olivier Abbou que celles de leur bourreau. Les victimes ne sont ici que les dommages collatéraux d’un pays dont la politique ambigüe a créé des monstres ayant totalement aboli les frontières entre le bien et le mal. Ainsi, alors que le récit menace de tourner en rond, le point de vue change et nous fait entrer dans l’intimité de deux psychopathes vivant en autarcie, loin d’une société qui ne veut plus d’eux. Peu à peu, nous découvrons qui ils sont, sans toutefois comprendre pleinement les motivations d’un tel acharnement et d’un tel sadisme, si ce n’est une nostalgie malsaine des geôles de Guantanamo et la quête désespérée d’ennemis de la nation à interroger et châtier. Pendant le dernier tiers du métrage, l’intrigue rebondit une nouvelle fois pour nous offrir un troisième point de vue, chavirant presque dans un onirisme à la David Lynch que justifie la personnalité et les failles d’un nouveau personnage qui pourrait bien faire basculer le cours des événements. A mi-chemin entre l’horreur, la satire sociale et le thriller, Territoires est un film insaisissable dont la vision pessimiste et désespéré de l’âme humaine fait froid dans le dos encore longtemps après la fin de son générique.

 

© Gilles Penso

 

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