POSSESSOR (2020)

Grâce à une technologie permettant de contrôler les individus, une tueuse à gages accomplit la mission de trop qui pourrait lui faire perdre pied…

POSSESSOR

 

2019 – CANADA / GB

 

Réalisé par Brandon Cronenberg

 

Avec Andrea Riseborough, Christopher Abbot, Jennifer Jason Leigh, Tuppence Middleton, Sean Bean, Rossif Sutherland

 

THEMA TUEURS I MONDES VIRTUELS ET PARALLÈLES

Pas facile de se faire une place dans le monde du 7ème art quand vous êtes le fils de David Cronenberg, un des auteurs les plus reconnus du cinéma fantastique des années 70/80. Et vu que Brandon Cronenberg a choisi d’œuvrer dans le même genre, il tend encore plus le dos à la critique. Faisons donc preuve d’indulgence et évitons tout parti pris : oui, les deux premiers films du fiston, Antiviral et Possessor, ont bel et bien un air de famille avec ceux de papa. Et alors ? Que celui ou celle qui n’entretient aucun point commun avec ses géniteurs lui jette la première pierre ! Brandon Cronenberg explique d’ailleurs que dans sa jeunesse, il s’« interdisait » de faire du cinéma, mais décida finalement de suivre ses envies en dépit des inévitables mauvaises langues qui l’attendraient au tournant. Son galop d’essai, Antiviral, sorti en 2013, pâtissait de ses velléités auteurisantes et négligeait la caractérisation des personnages, discourant plutôt qu’il ne racontait une histoire. Il aura presque fallu dix ans à Brandon C. pour accoucher de son second projet. Et en dix ans, la pomme a muri et s’est éloignée de l’arbre dont elle était tombée.

Possessor nous plonge sans préambule dans son univers science-fictionnel. Une fille (une call-girl ?) rejoint une fête dans un bar branché, s’approche d’un homme, sort un pistolet et l’abat froidement. Elle porte ensuite l’arme à sa bouche sans se résoudre à appuyer sur la gâchette. Mais la police arrive et la crible de balles. Elle tombe raide-morte. Plan suivant : une femme blonde est allongée sur une table dans un environnement clinique, un étrange casque sur la tête. Elle se nomme Tasya Vos (Andrea Riseborough) et travaille pour une agence disposant d’une technologie permettant de prendre le contrôle d’un hôte afin d’effectuer des missions d’infiltration/espionnage/assassinat pour le compte de corporations prêtes à enfreindre toutes les lois. Mais Tasya commence à perdre pied. À force d’habiter le corps d’autres, sa propre conscience et sa perception de la réalité sont perturbées. Elle voudrait s’offrir un break mais sa supérieure Girder (Jennifer Jason Leigh) ne le voit pas de cet œil, elle qui préfèrerait que son agent renonce à son mari et son fils et se dévoue corps et âme à ses missions. Possessor raconte cette mission (de trop ?), durant laquelle Tasya va incarner Elio (Matthew Garlick). Ce dernier va s’avérer un hôte coriace et Tasya ne sortira pas indemne de cette « cohabitation ». Brandon Cronenberg réussit parfaitement son entrée en matière : au cours des dix premières minutes résumées ci-dessus, il définit à la fois le style visuel de sa mise en scène, le tempo, l’ambiance générale et fournit les informations nécessaires à la compréhension de son argument de science-fiction – sans s’encombrer de considérations techniques. De ce point de vue, Possessor ressemblerait plus à une adaptation de Philip K. Dick et ses questionnements sur la perception de notre environnement, qu’à une quelconque tentative d’émuler les thématiques de Cronenberg Senior.

Un esprit malsain dans un corps sain

La perception distordue et les hallucinations dont souffre Tasya ont également des répercussions sur le spectateur, qui doit s’interroger sur les faits et gestes de l’hôte : qui, d’Elio ou Tasya, a l’ascendant ? La direction est bien sûr un élément-clé de la réussite du film et le réalisateur utilise beaucoup les gros plans pour mieux scruter les émotions contradictoires d’Elio. Une dualité qui évoque métaphoriquement une forme de schizophrénie, ou même, du fait de la différence de sexe entre la « possesseuse » et le « possédé », une dimension transgenre (un thème effleuré dans Ready Player One ou même Jumanji – Next Level, et traité plus frontalement dans Freaky de Chris Landon). Brandon Cronenberg avait d’ailleurs écrit une scène montrant Tasya affublée d’un pénis lors d’une de scène sexe pourtant déjà explicite à l’écran, mais se ravisa pour ne pas s’aventurer inutilement vers un hors-sujet, cet aspect physiologique n’étant finalement qu’un moyen plutôt qu’une fin dans le cadre de son histoire. Si il fallait à tout prix trouver un raccourci critique pour définir Possessor, on pourrait le décrire comme un croisement entre le pitch de la série Dollhouse, l’ambiance d’Enemy et Arrival de Denis Villeneuve, le tout mâtiné d’éléments empruntant à Philip K. Dick, pour ses thématiques et sa manière de décrire la technologie pour ce qu’elle permet sans s’attarder sur son fonctionnement. Bien qu’entretenant quelques points communs avec le très efficace Upgrade sur le papier, l’approche est ici plus intimiste, cérébrale et moins portée sur l’action. La conséquence directe est un certain déficit d’émotion envers les motivations et enjeux personnels de son héroïne. Ce qui n’a pas empêché Possessor de se voir attribuer le Grand Prix du Jury lors du Festival de Gerardmer 2021. Une récompense méritée pour une œuvre intègre et maitrisée, extrapolant intelligemment sur son postulat de départ. Malgré une légère baisse de régime à mi-parcours, le scénario tient la route jusqu’au bout, sans jamais perdre le spectateur, faisant converger ses différents éléments de façon cohérente et satisfaisante. En ces temps où le concept prime souvent sur la rigueur d’écriture, c’est plus qu’appréciable.

 

 © Jérôme Muslewski

 

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