LE JOUR DE LA BÊTE (1995)

Persuadé que l’Antéchrist va naître le soir de Noël, un prêtre décide de se vouer au mal pour entrer en contact avec le diable…

EL DIA DE LA BESTIA

 

1995 – ESPAGNE / ITALIE

 

Réalisé par Alex de la Iglesia

 

Avec Alex Angulo, Armando de Razza, Santiago Segura, Terele Pavez, Maria Grazia Cucinotta

 

THEMA DIABLE ET DÉMONS

Après le succès de son premier long-métrage, le délirant Action Mutante, Alex de la Iglesia décide de traiter sous l’angle de la comédie noire le thème de l’adoration du diable, en partant de l’idée simple d’un homme bien sous tous rapports décidant du jour au lendemain de commettre les actes les plus immoraux possibles. Ce ressort comique permet au cinéaste de régler des comptes personnels avec la religion. « J’ai été élevé par les Jésuites et je suis très critique vis-à-vis du christianisme », nous explique-t-il. « Je suis à la fois clérical et anticlérical ! C’est tout le paradoxe de mon rapport à la religion. » (1) Un paradoxe qui va pouvoir s’exprimer avec panache dans Le Jour de la bête, puisque son héros est un homme d’église qui décide de vendre son âme au diable et de commettre les pires crimes pour une cause qui lui semble juste. Est-il aveuglé par une foi caricaturale ou guidé par une mission dont la survie de l’humanité est l’enjeu ? Telle est l’interrogation que formule le scénario fou co-écrit par le réalisateur et son complice Jorge Guerricaechevarria. « Le christianisme est une religion curieuse, car elle a sacrifié son propre dieu », poursuit De la Iglesia. « Je suis bien conscient que c’est l’homme qui a imaginé tout ça pour pouvoir expliquer sa propre place dans l’univers et pour pouvoir se positionner face à l’au-delà. Finalement, ce qui m’intéresse le plus dans la religion, c’est son aspect fantastique. » (2) Producteur d’Action Mutante, Pedro Almodovar est logiquement sollicité pour occuper le même poste sur Le Jour de la bête, mais il décline poliment la proposition, visiblement mal à l’aise avec un tel sujet. Ironiquement, il produira pourtant L’Échine du diable en 2001.

 

Angel (Alex Angulo), prêtre et professeur de théologie à l’université de Deusto, déboule comme un fou dans une église et désire se confesser pour les crimes qu’il s’apprête à commettre, ce qui laisse évidemment perplexe l’un de ses confrères. Après avoir étudié pendant 25 ans l’Apocalypse de St. Jean, il a découvert un message codé annonçant la fin du monde le soir de Noël. Pour savoir où va naître l’antéchrist et essayer d’empêcher l’éradication de la race humaine, il doit invoquer le démon. Comme pour souligner ses propos, une immense croix s’écroule sur le prêtre à qui il vient de se confier et l’écrase comme une crèpe ! Lâché dans les rues animées de Madrid, Angel s’adonne alors au mal : il vole, pille, trahit, maudit, agresse son prochain dans l’espoir d’attirer l’attention du diable. Mais celui-ci semble faire la sourde oreille. Pour mener à bien sa mission divine, il s’adjoint les services d’un disquaire excentrique fan de métal (Santiago Segura). « Comme Judas, j’ai trahi le Christ pour sauver le monde », lui déclare-t-il. « Je dois vendre mon âme au diable, mais je ne sais pas comment. » Tous deux séquestrent alors un animateur TV spécialisé dans l’occulte (Armando de Razza) et l’obligent à mettre en place un rituel précis censé invoquer Satan…

Les diaboliques

Le comique de situation que développe l’intrigue du Jour de la bête s’appuie principalement sur le décalage entre l’apparente candeur de ce curé qu’on croirait échappé d’un Don Camillo et la vilénie des actes qu’il commet « pour la bonne cause ». Le film multiplie donc les situations absurdes et les gags violents dignes d’un cartoon vitriolé, avec une frénésie qui évoque parfois le Mort sur le gril de Sam Raimi. Les prestations délectables de Santiago Segura, parfaite antithèse exubérante de ce prêtre chétif et pâlichon, et d’Armando de Razza, en charlatan charismatique soudain dépassé par les événements, viennent renforcer celle d’Alex Angulo, tous trois composant un trio disparate aussi invraisemblable que le récit dans lequel ils s’embarquent. Alex de la Iglesia appuie sa mise en scène sur des effets spéciaux très soignés, permettant non seulement de visualiser les cascades vertigineuses auxquelles se soumettent les héros du film mais aussi de donner corps en fin de métrage aux manifestations sataniques. Car Le Jour de la bête va au bout de son concept, s’amusant à détourner les codes du cinéma d’horreur. « C’est une manière de mettre le feu à toutes mes angoisses et mes terreurs d’enfance », explique le réalisateur. « C’est une sorte de catharsis, d’épuration des passions par leur représentation dramaturgique spectaculaire. » (3) Le diable finit bien par montrer le bout de son museau et de ses cornes… à moins qu’il ne s’agisse de l’hallucination collective de personnages aveuglés par leur propre détermination fanatique ? Volontairement, le film entretient le doute jusqu’au bout. Comme Action Mutante, Le Jour de la bête remportera une multitude de récompenses, dont six Spanish Academy Awards, le Goya du meilleur réalisateur de l’année et le Grand Prix du festival de Gérardmer.

 

(1), (2) et (3) Propos recueillis par votre serviteur en novembre 2013

 

© Gilles Penso

 

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