L’ÉCHINE DU DIABLE (2001)

Guillermo del Toro inscrit le fantastique dans un contexte historique tangible et s'interroge sur la nature des fantômes

EL ESPINAZO DEL DIABLO

2001 – ESPAGNE / MEXIQUE

Réalisé par Guillermo del Toro

Avec Eduardo Noriega, Marisa Paredes, Federico Luppi, Iñigo Garcés, Fernando Tielve, Irene Visedo, Jose Manuel Lorenzo  

THEMA FANTÔMES

Cronos, son premier long-métrage, ayant beaucoup fait parler de lui, Guillermo del Toro eut immédiatement accès aux gros studios hollywoodiens auprès desquels il se fourvoya dans un Mimic inabouti. Avec L’Echine du diable, il revient à une production plus modeste, orchestrée par Pedro Almodovar. Se laissant porter par ses propres souvenirs d’enfance et par ses croyances de l’époque, le cinéaste signe ici une œuvre magnifique et maîtrisée de bout en bout, aboutissement de plus de quinze ans de gestation (Del Toro en commença l’écriture alors qu’il était encore au lycée) qui porte en germe toutes les composantes de son futur chef d’œuvre Le Labyrinthe de Pan. Les premières images du film, énigmatiques, sont portées par la voix off du vénérable Federico Luppi (héros de Cronos), nous offrant une définition poétique du mot fantôme : « Qu’est-ce qu’un fantôme ? Un fait terrible condamné à se répéter encore et encore ? Un instant de douleur, peut-être. Quelque chose de mort qui semble encore en vie. Un sentiment suspendu dans le temps, comme une photo floue, comme un insecte piégé dans l’ambre. »

Nous découvrons alors le contexte historique du film : la guerre civile espagnole. Carlos, un garçon de douze ans qui vient de perdre son père, débarque à Santa Lucia, un établissement catholique pour orphelins. Il est confié par son tuteur à la directrice Carmen (Marisa Paredes, inoubliable dans Talons aiguilles, La Vie est belle et Tout sur ma mère), et au vieux professeur Casares (Lupi). Dès qu’il découvre les lieux, Carlos se heurte à l’hostilité de ses camarades et de Jacinto (Eduardo Noriega, héros de Tesis et Ouvre les yeux d’Alejandro Amenabar), un homme à tout faire brutal qui semble très attiré par l’or de la cause républicaine caché quelque part en ces lieux sinistres. Bientôt, Carlos découvre que le sous-sol est hanté par le fantôme d’un garçon qui lui rend régulièrement visite et qui semble porter un lourd secret…

Un drame humain mâtiné de poésie âpre

Chaque apparition de ce spectre décharné dont le sang s’échappe de sa tête en flottant, partiellement inspiré des fantômes japonais fleurissant sur les écrans depuis Ring, est pour le moins effrayant. Mais L’Echine du diable joue moins la carte de l’horreur que celle du drame humain mâtiné de poésie âpre. D’ailleurs, les pires exactions ne sont pas ici commises par les fantômes mais par les humains, comme en témoignent la révélation finale et un climax particulièrement violent. Les partis pris visuels du film sont forts, notamment une image saturée, presque sépia, signée Guillermo Navarro et quelques visions quasi-surréalistes comme cette immense bombe plantée dans la cour de l’orphelinat, épée de Damoclès menaçant à retardement chaque protagoniste, ou ce bocal de formol abritant le fœtus d’un enfant à la colonne vertébrale malformée, à laquelle le film doit son titre. Quant au casting, il est tout simplement parfait, adultes comme enfants rivalisant de justesse et de sensibilité. Fort de ces multiples atouts, L’Echine du diable est ni plus ni moins l’une des plus belles histoires de fantômes jamais portées à l’écran. Quel dommage qu’il soit autant passé inaperçu au moment de sa sortie en salles…

© Gilles Penso

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