SANTA SANGRE (1989)

Alejandro Jodorowsky raconte la folie destructrice d’un jeune homme dont les bras semblent possédés par l’esprit de sa mère…

SANTA SANGRE

 

1989 – MEXIQUE / ITALIE

 

Réalisé par Alejandro Jodorowsky

 

Avec Axel Jodorowsky, Bianca Guerra, Guy Stockwell, Thelma Tixou, Sabrina Dennison, Adan Jodorowsky, Maria de Jesus Aranzabal, Jesus Juarez

 

THEMA TUEURS

Le scénario de Santa Sangre est passé par plusieurs circonvolutions avant de devenir celui que nous connaissons. L’idée initiale vient du scénariste Roberto Leoni qui, fort de son expérience dans la bibliothèque d’un hôpital psychiatrique, commence à développer une idée liée à un personnage frappé par de violents troubles mentaux. Persuadé qu’il y a là un point de départ intéressant, Claudio Argento (frère du célèbre Dario et producteur de plusieurs de ses longs-métrages) soumet cette idée à Alejandro Jodorowsky, à ses yeux le cinéaste idéal pour un projet aussi atypique. Après La Montagne sacrée, son adaptation avortée de « Dune » et la fable Tusk, le réalisateur franco-chilien semble justement en attente d’un nouveau film à réaliser. Mais pour pouvoir s’approprier cette histoire, « Jodo » retravaille entièrement le scénario avec Leoni afin d’y injecter son univers, ses obsessions et ses visions. Plusieurs influences cinématographiques se liront entre les lignes de Santa Sangre (littéralement « le sang sacré »), notamment l’œuvre de Tod Browning (on pense à La Monstrueuse parade et à L’Inconnu) mais aussi Psychose d’Alfred Hitchcock. Santa Sangre devient un film si personnel que le réalisateur confie le rôle du personnage principal à ses deux fils, Axel et Adan Jodorowsky, qui l’interprètent tour à tour à deux âges de sa vie.

Fenix est un enfant de la balle. Sa mère Concha est acrobate, son père Orgo lanceur de couteaux, et lui-même s’essaie à la prestidigitation en faisant les yeux doux à une petite funambule sourde et muette. Entouré de clowns, de nains et d’animaux, il mène une vie colorée de saltimbanque. Mais tout bascule le jour où Concha découvre que son époux couche avec l’une des artistes du cirque, la plantureuse « femme tatoué ». Au cours d’une lutte sauvage entre la femme délaissée et l’homme infidèle, le sang éclabousse soudain les rues : Orgo tranche les bras de sa femme puis se suicide sous les yeux affolés de Fenix. L’enfant bascule dans la folie et nous le retrouvons à l’âge adulte dans un hôpital psychiatrique, revenu quasiment à l’état sauvage. Lors d’une sortie organisée par l’institut qui s’occupe de lui, le jeune homme revoit la femme tatouée dans les rues de la ville. Il s’échappe alors de l’hôpital, troque son apparence de Jésus primitif contre plusieurs looks excentriques (un magicien aux allures de Mandrake, un cowboy à paillettes lanceur de couteaux, un émule de L’Homme invisible de James Whale) et se lance dans une sanglante croisade vengeresse…

Les bras m’en tombent !

Contrairement à la narration erratique d’une Montagne sacrée, Santa Sangre se construit autour d’une trame limpide, même si Jodorowsky ne renonce évidemment pas à ses fulgurances et ses nombreux grains de folie. Le film se pare donc de poésie absurde (l’enterrement de l’éléphant), de visions macabres (les poules qui picorent un bras tranché, l’homme qui s’arrache lentement l’oreille, les mortes en robe de mariée qui surgissent de terre) ou de moments délicieusement surréalistes (le cygne qui s’envole d’une tombe, le python qui surgit soudain autour du corps de Fenix). Mais tous ces passages « autres » parviennent à s’articuler autour d’une intrigue relativement cohérente dont le fil conducteur est la folie d’un homme possédé par l’esprit de sa mère. C’est en ce sens que Santa Sangre rejoint Psychose. Le mythe des Mains d’Orlac fait aussi écho au récit, car les membres supérieurs de Fénix semblent parfois ne plus lui appartenir et obéir à une volonté qui n’est pas la sienne. D’où ces nombreuses séquences étonnantes au cours desquelles ses propres bras remplacent ceux de Concha lorsqu’il se dissimule derrière elle pour prolonger ses pensées, exprimer ses états d’âme, danser, se nourrir, jouer du piano, tricoter. Pendant ces instants étranges, la mère et le fils ne font plus qu’un, comme un être bicéphale dont l’un serait la marionnette de l’autre. Lorsque Santa Sangre bascule dans l’horreur pure et dure, c’est au cours d’un premier meurtre extrêmement graphique qui semble pour sa part emprunter son exubérance à Dario Argento (le sang exagérément écarlate qui gicle par gerbes énormes) et même à Sam Raimi (le couteau qui vole suivi par la caméra), le tout sur un rythme de mambo endiablé. Car les chants et les danses sont omniprésents dans les rues qui servent de cadre au film, qu’il s’agisse de carnavals nocturnes endiablés ou de complaintes tristes accompagnant les gueules de bois du petit matin. La musique accompagne tout : les moments drôles, tristes, tragiques ou horrifiques, en une entêtante sarabande qui perdure longtemps après le visionnage du film.

 

© Gilles Penso

 

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