STARMAN (1984)

John Carpenter conte la romance impossible entre une jeune veuve et une entité extra-terrestre réincarnée dans le corps de son défunt époux…

STARMAN

 

1984 – USA

 

Réalisé par John Carpenter

 

Avec Jeff Bridges, Karen Allen, Charles Martin Smith, Richard Jaeckel, Robert Phalen, Tony Edwards, John Walter Davis 

 

THEMA EXTRA-TERRESTRES I SAGA JOHN CARPENTER

En 1982, John Carpenter réalise ce que beaucoup considèrent comme son meilleur film : The Thing, érigé aujourd’hui au statut de classique indétrônable dans le double domaine de l’horreur et de la science-fiction. Mais le jour de sa sortie, le film passe complètement inaperçu. Le public du monde entier n’a alors d’yeux que pour E.T., personne ne veut entendre parler d’extra-terrestre agressif et The Thing est un bide retentissant. Carpenter aura du mal à se relever de ce fiasco commercial. Passer aux commandes de Starman est donc une manière pour lui de renverser la vapeur et de prendre sa revanche en brossant – de prime abord – les spectateurs d’E.T. dans le sens du poil. Il s’agit d’ailleurs d’une œuvre de commande pure, développée pendant cinq ans et destinée par le studio Columbia à des cinéastes aussi variés que Peter Hyams, Adrian Lyne, Tony Scott ou John Badham. En héritant du film, Carpenter teinte le récit d’amertume et de bizarrerie. À l’histoire d’amitié entre un petit garçon et une créature extra-terrestre de E.T., Starman substitue une love story désespérée entre une jeune veuve (Karen Allen) et une entité venue des étoiles qui a pris l’apparence de son défunt époux (Jeff Bridges).

Pour pouvoir adopter un langage corporel imprévisible, Jeff Bridges a l’excellente idée d’étudier l’attitude des oiseaux, et notamment leurs brusques mouvements de tête. D’où une prestation « autre » qui concourt beaucoup à la crédibilité de son personnage (et qui lui vaudra même une nomination aux Oscars, mais il était difficile de lutter face à F. Murray Abraham dans Amadeus). En centrant son intrigue sur le motif du couple en cavale (pris en chasse ici par des membres du gouvernement qui, pour le coup, semblent s’être échappés d’E.T.), le film prend vite la tournure d’un road movie. C’est l’occasion pour John Carpenter de saisir la photogénie de sites extérieurs captés aux quatre coins des États-Unis. Magnifiquement cadrés en Cinémascope sous la supervision du directeur de la photographie Donald Morgan (déjà à l’œuvre sur Christine), ces décors naturels servent d’écrin à deux composantes jusqu’alors rares dans la filmographie de Carpenter : la romance et la comédieCe récit de science-fiction peut par ailleurs s’appréhender comme une métaphore du processus de deuil. 

Lyrisme spatial

Comme à l’époque de The Thing, Carpenter cède ici la bande originale à un autre musicien, en l’occurrence Jack Nietzsche. Si les tonalités synthétiques si chère au cinéaste sont toujours là, leur usage est aux antipodes des compositions minimalistes et obsédantes auxquelles il nous a habitués. « Nous étions arrivés à un point où la technologie des synthétiseurs était capable de prélever une note, chantée par Bobbie St Marie, l’épouse de Jack Nietzsche, ce qui permettait de la jouer à différentes hauteurs », raconte Carpenter. « Sa voix incroyablement pure a servi le film. Ce qui est étrange, c’est que Nietzsche est un compositeur habituellement très cynique, très sombre, or sa composition pour Starman est merveilleusement romantique » (1). Nous nous permettrons de tempérer quelque peu l’enthousiasme du cinéaste. Pour avant-gardiste qu’elle soit, cette musique n’en demeure pas moins artificielle et exagérément lyrique, entamant la suspension d’incrédulité des spectateurs. Le même sentiment concerne les effets spéciaux cosmétiques, qui sollicitent pourtant trois des plus grands maquilleurs spéciaux de tous les temps (Rick Baker, Dick Smith et Stan Winston). Ce trio de prestige concocte en effet une séquence de transformation de nouveau-né en adulte certes spectaculaire mais absolument pas crédible. Une approche moins démonstrative eut été plus pertinente. C’est donc cette absence de subtilité qui nuit le plus à Starman, comme si Carpenter, en terrain peu familier, se sentait obligé de forcer le trait. Et pourtant, allez savoir pourquoi, le charme opère. Sans doute parce que Karen Allen nous touche dans un registre très éloigné de la Marion des Aventuriers de l’arche perdue, que Jeff Bridges est irrésistible en « poisson hors de l’eau » à la candeur si rafraîchissante, et que les maladresses du film se transforment presque en force. En cherchant le ton juste, le réalisateur de The Thing se retrouve dans une position de déséquilibre qui fait de son dixième long-métrage une œuvre rare, unique et finalement incomparable.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en février 1995

 

© Gilles Penso

 

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