DUNE (2021)

37 ans après David Lynch, Denis Villeneuve propose sa propre version du classique de Frank Herbert et livre aux spectateurs un film-monument…

DUNE

 

2021 – USA / CANADA

 

Réalisé par Denis Villeneuve

 

Avec Timothée Chalamet, Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Jason Momoa, Stellan Skarsgård, Josh Brolin, Javier Bardem, David Bautista, Zendaya, Charlotte Rampling

 

THEMA SPACE OPERA

Pour Denis Villeneuve, Dune est un rêve d’enfant qui se réalise. À l’âge de douze ans, il dévore le roman de Frank Herbert et ne pense dès lors qu’à une chose : en faire un film. La version de David Lynch qu’il découvre quelques années plus tard ne le décourage pas. Elle le pousse au contraire à poursuivre ce rêve pour être le plus fidèle possible à la prose de l’écrivain. Dix ans plus tard, Villeneuve devient réalisateur, et lorsqu’il se lance enfin dans la science-fiction, c’est sciemment pour préparer le terrain du futur Dune qu’il a toujours en tête. Premier contact et Blade Runner 2049 sont donc à ses yeux les étapes nécessaires pour atteindre son graal. Et pour se sentir libre de sa création, le cinéaste canadien décide de produire lui-même ce nouveau Dune. Le scénario est signé Eric Roth (auteur entre autres de Forrest Gump, Munich, Benjamin Button ou encore A Star is Born). Incapable de réduire son texte en dessous de la barre des 200 pages – ce qui impliquerait une durée trop longue d’après le studio Warner Bros -, il est relayé par la plume moins prestigieuse de John Spaihts (Prometheus, Doctor Strange, La Momie). Cette écriture à quatre mains, supervisée de près par le réalisateur, restitue avec beaucoup de finesse l’essence du roman d’Herbert, capitalisant sur l’aura mystique du texte sans jamais perdre les spectateurs dans une quelconque nébulosité. Chaque enjeu – qu’il soit familial, militaire, politique ou personnel – est clairement défini. Tout tourne finalement autour de l’acceptation d’une immense responsabilité et de l’anticipation des conséquences qu’elle implique.

Comme son prédécesseur de 1984, Dune s’appuie sur un casting de premier ordre. Du côté des Atréides, le charisme dévore l’écran. Comment pourrait-il en être autrement face à des figures aussi fortes que Rebecca Ferguson, Oscar Isaac, Josh Brolin ou même Jason Momoa (dans son meilleur rôle) ? Certes, Timothée Chalamet a beaucoup moins de caractère et n’imprime pas le film d’une grande empreinte. Mais Kyle McLachlan ne crevait guère plus l’écran chez David Lynch. Paul Atréides a besoin de s’affirmer au sein d’un récit tumultueux qui le montre d’abord immature et mal dégrossi, première étape d’une quête initiatique creusant plus tard chez lui les sillons de la maturité. On pourra en revanche regretter le traitement du Baron Harkonnen. Recouvert de prothèses grossissantes, Stellan Skarsgård a du mal à laisser affleurer son talent sous la défroque d’un « super-vilain » plus blême et moins impressionnant que l’horrible « pustule flottant » qu’incarnait Kenneth McMillan en 1984. Du côté des monstres, c’est surtout la réinvention des vers des sables qui saute aux yeux. Ceux conçus par Carlo Rambaldi pour Lynch avaient déjà de quoi marquer les mémoires. Ici, leur taille devient démente, cyclopéenne, à tel point qu’il nous est quasiment impossible de les appréhender d’un seul regard, leur bouche démesurée s’ouvrant dans les dunes comme le Sarlacc du Retour du Jedi.

Un demi-film

Dès ses premières secondes, Dune frappe par la magnificence de sa mise en forme. Ceux qui ont vu Blade Runner 2049 ne doutaient pas des dons d’esthète de Denis Villeneuve, mais force est de reconnaître que l’écrin visuel dans lequel il sertit son film est d’une beauté à couper le souffle, loin de la grisaille morose que laissait craindre un poster officiel bizarrement neurasthénique. Villeneuve a surtout l’art de composer des plans étonnant dans lequel les éléments de science-fiction pure s’insèrent avec un naturel désarmant. Comment ne pas être persuadé que tous ces objets gigantesques se libérant de la loi de la gravité n’existent pas réellement ? Comment ne pas croire dur comme fer à la tangibilité des « ornithoptères » empruntant leur morphologie à celle des libellules ? Cette pleine harmonie entre la mise en scène et la mise en image surprend d’autant plus que Villeneuve se prive de son directeur de la photographie habituel Roger Deakins et collabore pour la première fois avec Greig Fraser (Rogue One). Mais cette somptuosité indiscutable finit par s’assortir d’une certaine fadeur. Face aux visions folles d’artistes aussi singuliers qu’Alejandro Jodorowsky (dont le Dune ne vit jamais le jour) ou David Lynch (qui signa une œuvre « malade » mais ponctuée de fulgurances), il est difficile de ne pas reprocher au Dune de Villeneuve son caractère un tantinet terne et impersonnel. Et l’on ne peut s’empêcher de trouver présomptueuses les déclarations du réalisateur définissant Dune comme un « Star Wars pour adultes », comme si la saga de George Lucas ne portait pas elle-même en germe des motifs universels propres à toucher toutes les générations. Autre frustration : Dune n’est en réalité qu’un « demi-film », s’interrompant à mi-parcours pour laisser les spectateurs en suspens, dans l’attente d’un second épisode que Warner a préféré ne mettre en chantier qu’après s’être assuré des bénéfices du premier opus. Contrairement à L’Empire contre-attaque ou La Communauté de l’Anneau qui s’arrêtaient certes sur une fin très ouverte mais n’oubliaient pas de développer chacun la structure complète d’un film autonome avec tous ses actes dramatiques et tous ses climax émotionnels, Dune s’arrête sans avoir eu le temps de décoller. Il faudra donc voir la suite pour pouvoir vraiment juger le film dans son intégralité.

 

© Gilles Penso

 

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