PRIS AU PIÈGE (2017)

Alex de la Iglesia isole dans un bar huit personnes disparates qui doivent s’enfermer si elles veulent rester en vie…

EL BAR

 

2017 – ARGENTINE / ESPAGNE

 

Réalisé par Alex de la Iglesia

 

Avec Blanca Suarez, Mario Casas, Jaime Ordoñez, Carmen Machi, Terele Pavez, Secun de la Rosa, Alejandro Awada, Joaquin Climent

 

THEMA CATASTROPHE

Cinéaste de tous les excès, de toutes les exubérances et de toutes les folies, Alex de la Iglesia s’est toujours amusé à mélanger les genres pour mieux déconcerter ses spectateurs, avec une prédilection pour la comédie, l’horreur, le thriller et parfois même la science-fiction. Une fois de plus, il brouille ici les pistes en jouant d’abord la carte de l’humour pour progressivement teinter son œuvre de noirceur jusqu’à un point de non-retour. Avec son fidèle coscénariste Jorge Guerricaechevarria, le réalisateur d’Action Mutante et Le Jour de la bête inscrit son intrigue dans un Madrid contemporain et familier duquel surgiront l’insolite et l’inexpliqué. Dès son entame, Pris au piège annonce la couleur. Le générique se déroule sur la vue microscopique de divers organismes mono ou pluricellulaires, un choix visuel déconcertant qui évoque autant les composantes d’un virus (le « McGuffin » du scénario) que l’étude scientifique d’espèces animales en lieu clos. Or Pris au piège va justement s’employer à isoler plusieurs individus pour analyser leur comportement, adoptant presque une approche ethnologique. L’ouverture du film est d’ailleurs un plan-séquence virtuose en pleine rue englobant un microcosme de personnages dans le même espace-temps, la caméra passant de l’un à l’autre en s’accrochant à leurs bribes de conversations.

D’emblée, nous comprenons que notre point de repère dans ce récit pluriel sera Elena (Blanca Suarez), en chemin pour un rendez-vous galant. La jeune femme fait halte momentanément dans un bar pour y recharger son téléphone portable et découvre les futurs acteurs du drame qui ne saurait tarder à se jouer : la gérante Amparo, le barman Satur, le hipster Nacho, l’accro aux jeux d’argent Trini, le mendiant fanatique religieux Israel, les clients Sergio et Andres, ainsi qu’un homme malade qui se précipite en hâte dans les toilettes. Huit personnes, un décor simple, une situation banale. En quelques minutes, Alex de la Iglesia met en place son unité de lieu et de temps. Les choses basculent soudain lorsqu’un homme d’affaire qui sort du bar est aussitôt atteint d’un coup de feu en pleine tête. Que s’est-il passé ? Que faire ? Un homme qui se dévoue pour porter secours à la victime est brutalement abattu de la même façon. Paniqués, les occupants du bar décident de ne plus sortir en attendant de comprendre ce qui se passe…

Piliers de comptoir

Alex de la Iglesia profite de ce huis-clos quasiment théâtral pour se jouer des clichés et mener ses spectateurs en bateau. Car pendant longtemps, on ne sait pas où se dirige cette intrigue. S’agit-il d’un film d’horreur ? De science-fiction ? D’autre chose ? L’imagerie familière des histoires de zombies et de contagion s’invite bientôt, mais les choses ne sont pas aussi simples. Et comme dans tout film catastrophe qui se respecte, la situation extrême révèle les personnalités, attise les tensions et fait craquer le vernis. Le courage, la lâcheté, l’agressivité, tout s’exacerbe. « La peur nous change », dira Elena, avant de s’entendre répondre : « Non, la peur nous montre qui on est vraiment ». Reprenant certaines des thématiques développées dans ses comédies noires Mes chers voisins et Le Crime farpait, le cinéaste prouve une fois de plus que la mesquinerie et l’égoïsme n’ont d’autre issue que le chaos. Pour renforcer son propos, il ne cesse de restreindre l’espace de jeu de ses « héros », rétrécissant peu à peu le décor, éliminant un à un les protagonistes, nouant la tragédie à l’extrême. Remarquable dans son équilibrage permanent entre la comédie et le drame, Pris au piège s’appréhende rétrospectivement avec un certain trouble. Deux ans avant la crise du Covid 19, Alex de la Iglesia nous parlait en effet de virus, de contamination, de confinement et de luttes autour d’une vaccination…

 

© Gilles Penso

 

Complétez votre collection


Partagez cet article