UNE PURE FORMALITÉ (1994)

Le réalisateur de Cinema Paradiso enferme Gérard Depardieu et Roman Polanski dans le huis-clos d’un commissariat qui pourrait bien être l'antichambre de l'enfer…

UNA PURA FORMALITA

 

1994 – ITALIE / FRANCE

 

Réalisé par Giuseppe Tornatore

 

Avec Gérard Depardieu, Roman Polanski, Sergio Rubini, Nicola di Pinto, Tano Cimarosa, Paolo Lombardi

 

THEMA MORT

À aucun moment Une Pure formalité ne s’affirme comme un récit fantastique. Vu au premier degré, il s’agit simplement d’une garde-à-vue, assimilable à celle du film homonyme de Claude Miller, avec quelques éléments insolites, certes, mais rien qui ne dérape au-delà de la réalité. Et pourtant… Tout commence un soir de pluie, après un coup de feu. Un homme court en rase campagne, bientôt interpellé par des policiers. Suspecté de meurtre, cet homme, l’écrivain Onoff (Gérard Depardieu), est interrogé dans un poste perdu en montagne par un commissaire fervent admirateur de son œuvre littéraire (Roman Polanski), capable de lui en citer par cœur de larges extraits. Bientôt, le téléphone et l’électricité sont coupés… Un certain nombre d’indices difficiles à interpréter de prime abord laissent peu à peu comprendre au spectateur que cet interrogatoire bizarre possède une dimension qui va bien au-delà de la simple garde à vue. Pourquoi Onoff ne peut-il rien écrire, ni avec des stylos, ni avec la machine ? Pourquoi n’entend-on pas sa voix lorsqu’il téléphone ? Ne l’accuserait-on pas de sa propre mort ?

Le réalisateur de Cinema Paradiso change brutalement de registre en troquant la nostalgie partiellement autobiographique contre un huis-clos insolite qui bascule progressivement dans le cauchemar, à mi-chemin entre les univers de Jean-Paul Sartre et de Franz Kafka. Écrit à quatre mains par le metteur en scène et l’écrivain Pascal Quignard (auteur du roman « Tous les matins du monde »), le scénario d’Une Pure formalité nous prend par surprise et nous mène en bateau jusqu’à son coup de théâtre final. Insidieusement, le film se défait de ses atours d’énigme policière ou de drame psychologique pour basculer dans un fantastique métaphorique proche de celui d’Alice ou la dernière fugue de Claude Chabrol ou de L’Échelle de Jacob d’Adrian Lyne. Si ce n’est que dans le cas présent, c’est au Jugement Dernier que nous semblons assister.

Le Jugement Dernier

Les performances respectives de Gérard Depardieu (qui va jusqu’à pousser la chansonnette !) et Roman Polanski (suave et impavide jusqu’au malaise) sont impeccables, même si ces deux têtes d’affiches sont sans doute un peu à demi-régime, en deçà des prestations intenses qu’on aurait pu attendre du Cyrano de Rappeneau et du réalisateur/interprète du Locataire. L’avantage de ce jeu d’acteur un peu distancié est sans doute l’impossibilité pour les deux monstres sacrés de phagocyter le sujet par leur seule présence. C’est d’ailleurs la mise en scène de Tornatore qui fait le plus gros du travail. Ses trouvailles visuelles et sonores, ses jeux constants sur les avants plans (ce verre de vin immense qui se remplit lentement pendant qu’Onoff essaie de se remémorer les événements de la journée) et sur les reports de mise au point, l’ambiance insupportablement froide et humide de ce poste de police qui suinte de partout la pluie nocturne incessante, la musique d’Ennio Morricone qui, régulièrement, sait provoquer de sourdes angoisses indicibles, tous ces éléments participent à l’atmosphère très particulière de cette Pure formalité. Certes, le film est inconfortable et prend son temps pour révéler l’envers du décor. Mais l’exercice est fascinant. Le film est passé inaperçu et beaucoup l’ont oublié aujourd’hui. Il serait temps de le réhabiliter.

 

© Gilles Penso

 

Complétez votre collection


Partagez cet article