LES ENVOÛTÉS (1987)

Martin Sheen plonge dans un monde cauchemardesque de sorcellerie tribale et de sacrifices humains…

THE BELIEVERS

 

1987 – USA

 

Réalisé par John Schlesinger

 

Avec Martin Sheen, Helen Shaver, Harley Cross, Robert Loggia, Elizabeth Wilson, Harris Yulin, Lee Richardson, Richard Masur, Jimmy Smits

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

John Schlesinger est un réalisateur d’exception, signataire d’œuvres bouleversantes et inconfortables telles que Macadam Cowboy ou Marathon Man. À l’occasion des Envoûtés, il collabore avec le scénariste Mark Frost, futur co-créateur avec David Lynch de la mythique série Twin Peaks. L’association de ces deux talents atypiques, combinée au roman « La Religion » de Nicholas Conde qui leur sert d’inspiration, donne naissance à un long-métrage très étrange, interrogeant nos croyances et nos convictions en se réappropriant les codes du cinéma d’horreur. Dès les premières secondes, Schlesinger parvient à instiller le malaise par petites touches discrètes mais insidieuses. C’est une note de musique un peu trop insistante, un report de mise au point au milieu d’un plan-séquence, un bruit de respiration en arrière fond, un gros plan légèrement appuyé, une flaque sur le sol, une étincelle. À travers le miroir déformant de sa caméra, la scène la plus quotidienne devient vecteur d’angoisse. Et lorsque le drame survient, nous sommes déjà conditionnés sans vraiment savoir à quoi nous attendre. Un matin comme les autres, un stupide accident domestique prive soudain le psychiatre Cal Jamison de son épouse, sous les yeux terrifiés de son fils Chris. Le réalisateur enchaîne alors les mouvements de tête frénétiques de la femme qui s’électrocute avec ceux d’un danseur tribal en transe. En quelques minutes, tout l’esprit du film est déjà là.

Après le drame, le thérapeute s’installe avec son fils à New York. Mais un jour, la police le sollicite pour participer à une enquête liée à d’horribles meurtres sacrificiels. Les victimes sont des enfants retrouvés éventrés et dépecés selon un rituel d’Amérique centrale appelé Santeria. Parallèlement, nous assistons à l’arrivée en ville d’un sorcier africain qui trimballe dans sa valise le kit du parfait amateur de vaudou et hypnotise un agent de l’aéroport d’un simple regard. Tous ces événements disparates vont s’avérer liés les uns aux autres, jusqu’à toucher notre héros et son fils de très près. L’efficacité du film repose beaucoup sur son casting hors pair. Martin Sheen est comme toujours impeccable, endossant ici le rôle d’un homme cartésien et imperturbable dont les failles ne cessent de s’agrandir et dont les convictions vacillent. Robert Loggia incarne à merveille un lieutenant de police aguerri en proie lui aussi au doute. Jimmy Smits joue l’un de ses collègues, un policier superstitieux qui bascule dans le délire paranoïaque jusqu’au point de rupture. Même le jeune fils du héros, interprété par Harley Cross, déborde de crédibilité et de justesse. Quant à Malick Bowens, il s’avère extrêmement impressionnant en sorcier au regard glacial et aux traits impassibles. C’est lui qui donne corps à l’impensable…

Croire à l’incroyable

La rupture entre le cadre urbain et les rites primitifs s’invite très tôt dans le film, à travers ces joueurs de bongo qui rythment les pas des quidams de Central Park, puis via la vision des restes macabres de ce qui ressemble à des sacrifices d’animaux. Ces images sinistres – une tête de chat coupée grignotée par des mouches, une carcasse d’animal qui flotte dans les eaux new-yorkaises – précèdent celles beaucoup moins soutenables de corps d’enfants mutilés. La caméra de Schlesinger ne s’y attarde pas, mais les regards horrifiés de Martin Sheen et Robert Loggia suffisent à évoquer l’indicible. Dans Les Envoûtés, le traitement du fantastique reste réaliste, dans la mesure où le surnaturel se rattache à des pratiques religieuses tangibles. Les croyances monothéistes, les superstitions et les cultes païens finissent d’ailleurs par s’entrechoquer en effaçant leurs différences au fil du récit. Cette approche rappelle par bien des aspects celle d’Angel Heart ou de L’Emprise des ténèbres. Jamais ostensibles, les phénomènes inexpliqués restent impressionnants parce que justement inscrits dans une réalité palpable, ce qui n’empêche pas le basculement dans l’incroyable, comme en témoignent l’éprouvante séquence des araignées surgies d’une blessure ou la découverte lugubre de serpents vivants dans les entrailles d’un homme. La paranoïa croissante qui gagne notre protagoniste n’est pas très éloignée de celle de Rosemary’s Baby. Car les êtres les plus proches cachent bien leur jeu et le mal s’insinue partout, comme une eau noire et fétide sapant les fondations d’une société aux apparences trompeuses.

 

© Gilles Penso


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