TAXIDERMIE (2006)

Trois générations d’hommes aux pulsions et aux obsessions monstrueuses se succèdent dans ce film provocateur et inclassable…

TITRE ORIGINAL

 

2006 – HONGRIE / AUTRICHE / FRANCE

 

Réalisé par György Pálfi

 

Avec Csaba Czene, Gergely Trocsanyi, Marc Bischoff, Gina Moreno, Istvan Gyuricza, Piroska Molnar, Gabor Maté, Geza D. Hegedüs, Zoltan Koppany

 

THEMA FREAKS

Il y a des films résolument atypiques, cultivant à la fois la beauté, la laideur, l’horreur et l’humour, le tout en un cocktail indéfinissable qui se soustrait à tout élément de comparaison. Taxidermie est de cette trempe. En se lançant dans une œuvre aussi inclassable, repoussant sans la moindre autocensure les limites de ce qui est généralement montrable sur un écran de cinéma, le réalisateur hongrois György Pálfi cherche de toute évidence la provocation, l’inconfort et le malaise, tout en développant une sorte de vision étrangement poétique du monde. Co-écrit avec Zsofia Ruttkay et inspiré par des nouvelles de Lajos Parti Nagy, le scénario se structure comme celui d’une grande fresque s’attachant à trois générations d’une même famille, depuis la seconde guerre mondiale jusqu’au 21ème siècle. Le grand-père, le père et le fils, tous plus bizarres et pervertis les uns que les autres, s’inscrivent ainsi dans les grands moments de l’histoire hongroise à travers leurs destins torturés et baroques. Ce sont leurs obsessions fiévreuses et leurs passions morbides qui dictent leur comportement, qu’il s’agisse de pulsions sexuelles primaires, d’un esprit de compétition jusqu’au-boutiste ou d’une quête artistique radicale et absolue.

Le grand-père de ce clan est Morosgoványi Vendel, un officier de l’armée hongroise dans les années 40. Soumis aux basses besognes que lui impose un lieutenant autoritaire, reclus dans une cabane non chauffée à côté des latrines, il développe une obsession pour le feu, les animaux morts et la sexualité déviante. Né d’une union adultère malsaine, son fils Balatony Kálmán est affublé d’une queue de cochon et devient obèse en grandissant. En quête de reconnaissance et d’un statut social digne de ce nom, il devient champion de concours très particuliers qui consistent à ingurgiter en un minimum de temps des quantités colossales de nourriture. Nous sommes alors en pleine guerre froide et Kalman donne naissance à un fils, Balatony Lajoska. Celui-ci devient un taxidermiste de grand talent dans la Hongrie des années 2000. Son père, toujours vivant, est désormais un monstre tellement volumineux qu’il ne peut plus bouger, entouré de chats ventripotents gardés en cage. Lajoska lui-même prépare un projet artistique aux conséquences inattendues…

L’esthétisme de l’obscénité

Sans cesse, Taxidermie ose le grand écart entre l’élégance et la vulgarité, l’esthétisme et l’obscénité. Le résultat est forcément déstabilisant. Quelques séquences somptueuses occupent parfois l’écran, comme cette baignoire qui se transforme tour à tour en berceau, en lit de mort, en lavoir ou en pétrin le temps d’un plan-séquence vertigineux. Ou ce livre en pop-up consacré à « La Petite fille aux allumettes » dans lequel évoluent de vrais personnages en chair et en os. Mais le glauque, le putride et le libidineux finissent par s’insinuer partout, convoquant les travers les plus inavouables de la psyché humaine : la zoophilie, la nécrophilie, la pédophilie… Les « héros » de Taxidermie crachent des flammes avec leur sexe, expulsent des hectolitres de vomi, s’automutilent. Mieux vaut avoir le cœur bien accroché pour se lancer dans un tel spectacle, dont la finalité nous échappe forcément au-delà d’un inévitable sous-texte politique confrontant l’homme à sa propre absurdité. Sans doute faut-il surtout y voir un geste artistique désespéré, ce que semble vouloir confirmer son étonnante séquence finale.

 

© Gilles Penso


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