OUVRE LES YEUX (1997)

Le second long-métrage d’Alejandro Amenabar est un puzzle fascinant qui plonge Eduardo Noriega et Penelope Cruz dans une spirale infernale…

ABRE LE OJOS

 

1997 – ESPAGNE

 

Réalisé par Alejandro Amenabar

 

Avec Eduardo Noriega, Peneolope Cruz, Chete Lera, Fele Martinez, Najwa Nimri, Gérard Barray, Jorge de Juan

 

THEMA MÉDECINE EN FOLIE I RÊVES I MONDES PARALLÈLES ET MONDES VIRTUELS

Ouvre les yeux est le second long-métrage d’Alejandro Amenabar. Entre 1991 et 1994, il réalise plusieurs films courts qui font presque office de « brouillons » de son œuvre à venir. Déterminante, sa rencontre avec le producteur José Luis Cuerda lui permet de diriger son premier long, Thesis, un thriller déjà très prometteur qui fait connaître son nom partout dans le monde. Pour Ouvre les yeux, il se laisse inspirer par des cauchemars qui le saisirent en pleine nuit alors qu’il était grippé. On comprend mieux pourquoi ce film au récit alambiqué prend bien vite les allures d’un rêve fiévreux. Dès la première scène (qui évoque un passage similaire avec Keanu Reeves dans L’Associé du diable et annonce le prologue de 28 jours plus tard), l’anormalité s’installe dans le quotidien. Le beau et riche César (Eduardo Noriega), au volant de sa Coccinelle, traverse les rues de Madrid puis s’arrête d’un seul coup. Lorsqu’il sort de sa voiture, c’est pour découvrir que la rue est totalement vide. Aucun véhicule, aucun passant, pas âme qui vive. Cette vision n’est qu’un rêve, s’évaporant dès que César se redresse dans son lit, régissant au message « ouvre les yeux » que susurre la voix féminine de son réveille-matin. Des sommeils agités s’achevant par un sursaut, le film en comptera beaucoup d’autres.

César est pourtant un jeune homme comblé au-delà de toute mesure. Son magnétisme auprès de la gent féminine est tel qu’il a la réputation de ne jamais passer deux nuits avec la même femme. Même s’il l’apprécie beaucoup, son meilleur ami Pelayo (Fele Martinez) est forcément jaloux d’un succès pareil. Lors de sa fête d’anniversaire, César rencontre Sofia (Penelope Cruz) que Pelayo a emmené avec lui. Ils sont immédiatement attirés l’un par l’autre et passent la nuit ensemble. Le lendemain matin, César tombe nez à nez avec Nuria (Najwa Nimri), une de ses anciennes conquêtes qui refuse de le laisser quitter sa vie. Ouvre les yeux commence donc comme une chronique légère pleine de fraîcheur sur les amours frivoles madrilènes… mais l’intrigue bascule soudain dans le drame. Lorsque le beau garçon se transforme soudain en freaks, la légèreté n’a plus droit de cité…

Les yeux sans visage

A l’instar de César, le spectateur finit par perdre le sens des réalités. La frontière entre le vrai et le faux devient de plus en plus floue. Avons-nous affaire à un cauchemar ? Une maladie mentale ? Un souvenir ? A moins que l’intrigue ne soit justifiée par un postulat de science-fiction vertigineux. La narration en flash-back brouille davantage les pistes. Les tranches de vie appartenant au passé se mélangent avec celles issus des songes et la temporalité s’altère. « Essayons d’y voir un peu plus clair » dit un inspecteur de police à César qui se perd lui-même dans le fil de son témoignage. Un second niveau de lecture semble possible en filigrane, et ce n’est que le climax qui nous offrira une réponse tangible… Mais est-ce la véritable explication ? Nous voilà comme à la fin de Total Recall incapables de trancher fermement. Amenabar soigne sa mise en scène au millimètre près, nous offrant l’image très graphique – et hautement symbolique – d’un César bicéphale, le temps d’une séquence où, émule du dieu Janus, il porte deux visages : le sien, défiguré via un incroyable maquillage signé Colin Arthur, et un masque en plastique qu’il porte à l’arrière de la tête. Plus tard, dans le miroir des toilettes, il en voit un troisième : le sien avant l’accident. Trois visages, mais lequel est le vrai ? N’est-ce pas une autre manière pour le réalisateur de nous faire comprendre que son intrigue est à tiroirs ? Que chaque couche du récit en abrite une autre, comme une série de poupées russes ? Puzzle passionnant et souvent déstabilisant, Ouvre les yeux assoit définitivement Alejandro Amenabar comme un cinéaste à suivre de près et fera l’objet d’un remake américain réalisé en 2001 par Cameron Crowe, Vanilla Sky.  

 

© Gilles Penso


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