KWAÏDAN (1965)

Un film de fantômes japonais qui allie l’épouvante primitive, les croyances ancestrales et une splendeur esthétique de premier ordre…

KAIDAN

 

1965 – JAPON

 

Réalisé par Masaki Kobayashi

 

Avec Tatsuya Nakadai, Tetsuro Tamba, Rentaro Mikuni, Michiyo Aratama, Keiko Kishi, Katsuo Nakamura, Kan-Emon Nakamura

 

THEMA FANTÔMES

Inspiré par les contes de l’auteur Lafcadio Hearn, Kwaïdan est conçu sous forme d’un film à sketches et démarre sur un très beau générique où de l’encre colorée dessine des nuages dans l’eau. Le ton est donc donné dès les premières minutes : le spectacle qui nous attend sera graphique, folklorique et contemplatif. La première histoire de cette anthologie nippone, « Les Cheveux noirs », raconte l’aventure d’un samouraï abandonnant sa femme pour épouser la fille d’un homme fortuné dans le but de pouvoir évoluer sur l’échelle sociale. Mais les jours heureux avec son ancienne femme finissent par lui manquer. Toujours amoureux d’elle, il décide de la rejoindre… La macabre découverte qui l’attend annonce avec 25 ans d’avance la grande vogue des fantômes féminins aux longs cheveux noirs qui hanteront les écrans japonais des années 2000. (Ring, Dark Water, The Grudge et consort).

Le second récit, « La Femme des neiges », est une pure merveille visuelle. Un vieux bûcheron et son apprenti sont surpris par une tempête de neige et trouvent refuge dans une cabane. Soudain surgit une créature féminine se repaissant du sang du vieil homme et acceptant d’épargner son disciple à condition que ce dernier ne raconte jamais cette mésaventure. On trouve là une superbe forêt enneigée reconstituée en studio. Sur les cieux peints apparaît régulièrement un œil inquisiteur, réminiscence de celui de Caïn, qui semble veiller à ce que le héros ne brise pas sa promesse. Ce sketch propose également un jeu fascinant sur l’éclairage, qui permet en plan séquence de passer d’une chaumière chaleureuse à un paysage glacé. « Hoïchi sans oreilles », la troisième histoire, met en scène un jeune moine aveugle mandé par des fantômes pour leur conter tous les soirs le combat homérique qui mit fin à leur vie. Ce segment accumule lui aussi les visions mémorables, de l’incroyable bataille navale, tournée dans un bassin devant de nouveaux cieux artificiels, au cimetière embrumé dans lequel les auditeurs fantômes se muent progressivement en pierres tombales, en passant par le corps d’Hoïchi entièrement recouvert de texte sacré calligraphié.

Que se passe-t-il si on avale une âme ?

Le dernier sketch, « Dans un bol de thé », aborde une question étrange : que se passe-t-il si on avale une âme ? Un seigneur est en effet hanté par le visage d’un guerrier qui apparaît dans le bol du thé qu’il boit, avant d’être confronté physiquement à ce mystérieux personnage. Inachevé, cet ultime conte se clôt sur une image pour le moins effrayante. Chaque protagoniste de Kwaïdan est ainsi confronté à un fantôme symbolisant un regret, une rancœur ou une erreur : celui d’un abandon égoïste, d’une promesse bafouée, d’une bataille perdue ou d’une dépossession surnaturelle… Si l’œuvre de Kobayashi est une indéniable réussite visuelle, étalant sur un généreux format Cinémascope ses somptueux décors de studio, la froideur de sa mise en scène et la langueur de son rythme nuisent parfois à l’impact de ses histoires. Chaque conte s’étire en effet sur trois bons quarts d’heure, alors que bien souvent la moitié aurait amplement suffi. Cette réserve mise à part, Kwaïdan demeure la référence ultime en matière de film de fantôme japonais.

 

© Gilles Penso


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