MARY REILLY (1996)

Stephen Frears dirige Julia Roberts et John Malkovich dans cette réinvention feutrée du mythe du docteur Jekyll…

MARY REILLY

 

1996 – USA

 

Réalisé par Stephen Frears

 

Avec Julia Roberts, John Malkovich, Glenn Close, George Cole, Michael Gambon, Kathy Staff, Michael Sheen, Bronagh Gallagher, Linda Bassett, Henry Goodman

 

THEMA JEKYLL ET HYDE

Mary Reilly fait partie de ces projets incertains qui auront suscité une jolie valse de chaises musicales avant de pouvoir se concrétiser. Les droits du roman de Valerie Martin, s’appuyant sur « L’étrange cas du docteur Jekyll et de Monsieur Hyde » de Robert Louis Stevenson pour réinventer l’histoire du point de vue d’une des domestiques du célèbre médecin, sont acquis en 1989 par les producteurs Jon Peters et Peter Guber pour Warner Bros. C’est alors Roman Polanski qui est pressenti à la mise en scène, avec Emmanuelle Seigner dans le rôle principal. Mais en devenant patron de Sony Pictures, Guber transfère le projet chez TriStar et confie l’écriture du scénario à Christopher Hampton (Les Liaisons dangereuses). À ce stade, Tim Burton est censé faire le film avec Winona Ryder en tête d’affiche. Une brouille entre Burton et Guber à propos d’Ed Wood annule le projet, qui se retrouve du jour au lendemain sans réalisateur. TriStar suggère alors Stephen Frears ainsi qu’un nouveau changement de casting : Uma Thurman dans le rôle de la servante et Daniel Day-Lewis dans celui de Jekyll/Hyde. Lorsque Day-Lewis refuse, il est remplacé par John Malkovich, marquant ses retrouvailles avec Frears après Les Liaisons dangereuses. Quant à Thurman, elle cède finalement le pas à Julia Roberts, jugée beaucoup plus attractive aux yeux des producteurs et des distributeurs.

Le générique du film égrène minutieusement la routine des travaux de ménage dont s’acquittent les cinq domestiques au service du docteur Jekyll, dans l’Angleterre brumeuse et terne de la fin du XIXème siècle : un majordome autoritaire, une cuisinière austère, un jeune homme volontiers grivois et deux servantes parmi lesquelles la fameuse Mary Reilly. Dès les premières minutes du métrage, on sent cette dernière marquée par la vie, hantée par un passé terrible. Les cicatrices qui sont bien visibles sur son cou et ses bras semblent en masquer d’autres, plus profondes encore. Soumise et parfaitement loyale, elle devine de la bonté chez son maître. Pourtant, la nuit venue, Jekyll s’isole dans son laboratoire, pousse des gémissements bestiaux et semble très affaibli le matin venu. Sans doute travaille-t-il trop. Alors qu’une sorte de complicité commence à se nouer entre Mary et Jekyll, ce dernier annonce qu’un assistant va désormais venir l’aider et qu’il doit être parfaitement libre de ses mouvements dans toutes les pièces de la maison. Son nom ? Edward Hyde. La photographie élégante de Philippe Rousselot, la musique lyrique de George Fenton et les décors extrêmement réalistes édifiés par Stuart Craig témoignent du goût très sûr de Stephen Frears mais aussi de sa volonté d’inscrire Mary Reilly dans un cadre extrêmement réaliste, loin de l’approche gothique qu’aurait sans doute adoptée Tim Burton.« Dans des films de ce type, l’aspect tangible de l’environnement et des situations permet de crédibiliser la nature fantastique du récit », confirme Stuart Craig. « Si nous avions conçu un contexte fantaisiste pour un film comme Mary Reilly, le caractère fantastique de l’histoire aurait sans doute perdu de sa force et de son impact » (1).

Indécision

En tête d’affiche, Julia Roberts et John Malkovich jouent avec retenue, à pas feutrés, comme s’ils ne voulaient pas faire trop de bruit, comme pour éviter de briser le charme ouaté de l’atmosphère paisible qui règne dans la maison Jekyll. Mais on sent beaucoup de non-dits entre les lignes de leurs dialogues. Le changement physique entre Jekyll et Hyde est subtil (les cheveux sont plus longs, la barbe a disparu, le poids des âges cède le pas à une fougue presque animale). Revers de la médaille, l’acteur reste parfaitement reconnaissable sous ses deux identités, ce qui rend peu crédible le fait que les autres personnages ne le reconnaissent pas. Mary Reilly préfère les tourments mélodramatiques et le romantisme trouble à l’épouvante, ce qui n’est pas une mauvaise idée en soi. Mais ce parti pris finit par empêcher le film de se déployer. L’intrigue patine, fait du sur-place, tandis que Julia Roberts conserve son regard de chien battu d’un bout à l’autre du métrage. Le final témoigne d’une certaine indécision, ou plutôt d’un manque de cohérence entre les envies du réalisateur et celles des producteurs. Comment expliquer autrement cet enchaînement de séquences contradictoires ? Une métamorphose spectaculaire et singulière (un bébé semble vouloir émerger du corps en mutation de Hyde, comme si le passage d’un personnage à l’autre était une sorte de renaissance cyclique) cède le pas à un épilogue minimaliste empruntant une voie, puis à un plan ultime montrant le contraire… Ces tâtonnements amenuisent l’impact d’un film qu’on aurait aimé plus incisif, malgré ses indiscutables qualités formelles.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en décembre 2005

 

© Gilles Penso


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