MILLE ET UNE PATTES (1998)

Après les jouets, l’équipe de Pixar s’intéresse aux insectes et livre une version très personnelle des fables d’Ésope et de La Fontaine…

A BUG’S LIFE

 

1998 – USA

 

Réalisé par John Lasseter et Andrew Stanton

 

Avec les voix de David Foley, Kevin Spacey, Julia Louis-Dreyfus, Hayden Panettiere, Phylis Diller, Richard Kind, David Hyde Pierce, Joe Ranft

 

THEMA INSECTES ET INVERTÉBRÉS I SAGA PIXAR

Certains moments apparemment anodins sont amenés à marquer durablement l’histoire du cinéma. C’est le cas d’un fameux déjeuner qui a lieu au cœur de l’été 1994, alors que Toy Story est en pleine post-production et que John Lasseter, Andrew Stanton, Pete Docter et Joe Ranft réfléchissent à leurs prochains films. Entre deux bouchées, les têtes pensantes de Pixar esquissent des concepts qui, plus tard, deviendront Toy Story 2, Monstres & Cie, Le Monde de Nemo et Wall-E. Parmi toutes ces idées, l’une paraît plus faisable que les autres : une réadaptation de la fable « La Cigale et la fourmi » d’Ésope popularisée par Jean de la Fontaine. Cette fois-ci, Lasseter co-signe le film avec Andrew Stanton, qui travaille étroitement avec lui depuis le début des années 90. L’un des premiers titres de travail est presque une boutade, puisqu’il s’agit de Bug Story, avant qu’on opte finalement pour A Bug’s Life, autrement dit « Une vie d’insecte ». En se réappropriant la fable initiale, les scénaristes transforment la cigale en une nuée de sauterelles qui décident de contraindre les fourmis travailleuses à leur donner le fruit de leur récolte. Pour sauver les siens, Tilt, « Géo Trouvetout » du monde des fourmis, décide de partir à la recherche de guerriers susceptibles de les défendre contre leurs oppresseurs. Le principe des Sept mercenaires se greffe ainsi à la fable, si ce n’est qu’un quiproquo vient compliquer les choses. En effet, le groupe de « valeureux combattants » que Tilt réunit est en réalité une troupe de cirque ambulante qui n’a jamais combattu personne et pense avoir été engagée pour un spectacle.

Si le casting vocal ne regorge pas de superstars, John Lasseter aimerait une voix connue pour incarner Hopper, le grand méchant du film. Après le refus de Robert de Niro, il propose le rôle à Kevin Spacey, qui s’empare avec brio du personnage. Roddy McDowall lui-même, inoubliable Cornelius de La Planète des singes, prête sa voix à Monsieur Sol, le meneur de la colonie. Ce sera le dernier rôle du vénérable comédien, qui s’éteindra un mois avant la sortie du film. Même si chacun sait que les insectes ont six pattes, les auteurs du film se soucient peu du réalisme entomologique, auquel ils préfèrent largement la force dramaturgique. Pour éviter l’effet répulsif que provoquent souvent les insectes, ils choisissent un design lisse et rond pour les fourmis, quitte à supprimer une paire de pattes et jouer ouvertement la carte de l’anthropomorphisme. Même leur couleur a été modifiée, le noir ayant été remplacé par un doux bleu lavande. Il en va autrement des sauterelles, à la morphologie épineuse et à la texture rugueuse. 1001 pattes s’avère techniquement beaucoup plus difficile que Toy Story, puisqu’il faut parfois créer des scènes de foule impliquant des milliers de fourmis mais aussi des interactions avec l’eau et le feu.

Un travail de fourmi

Comme si ces complications ne suffisaient pas, les réalisateurs décident de donner à 1001 pattes des dimensions épiques en le dotant d’un format Cinémascope, chose alors très rare dans le domaine du cinéma d’animation (à l’époque, seuls La Belle au bois dormant, Taram et le chaudron magique et Anastasia avaient connu un tel traitement). Tous ces choix techniques et artistiques s’avèrent payants. 1001 pattes est une merveille d’humour (grâce à sa galerie de personnages irrésistibles), de suspense (les sauterelles sont des antagonistes effrayants) et d’action (les séquences avec l’oiseau friand d’insectes sont à couper le souffle), le tout rythmé sur une bande originale trépidante de Randy Newman. Le succès du film n’est pourtant pas assuré, dans la mesure où un concurrent de poids vient lui barrer la route : Fourmiz, initié par Jeffrey Katzenberg pour le département d’animation de Dreamworks. John Lasseter est furieux, persuadé que Katzenberg lui a volé son idée, d’autant que Fourmiz s’avère d’excellente facture et bénéficie d’un casting vocal particulièrement impressionnant (Woody Allen, Sylvester Stallone, Sharon Stone, Gene Hackman, Jennifer Lopez, Christopher Walken, Danny Glover, Dan Aykroyd, Anne Bancroft, excusez du peu !). Mais 1001 pattes séduit un public beaucoup plus large, rapportant deux fois plus que son concurrent.

 

© Gilles Penso


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