

Une adaptation minimaliste et atmosphérique de la fameuse nouvelle de H.P. Lovecraft La Couleur tombée du ciel…
DIE FARBE
2010 – ALLEMAGNE
Réalisé par Huân Vu
Avec Paul Dorsch, Jürgen Heimüller, Ingo Helse, Philipp Jacobs, Michael Kausch, Olaf Krätke, Marco Leibnitz, Ralf Lichtenberg, Patrick Pierce, Erik Rastetter
THEMA MUTATIONS
Huân Vu est un homme à la passion tenace. Entre 2003 et 2007, alors qu’il est encore étudiant, ce réalisateur allemand d’origine vietnamienne s’attelle à son premier long-métrage, Damantus, un « fan film » consacré à l’univers du jeu de figurines Warhammer 40000. Cette première tentative n’a d’autre but que concrétiser une envie d’enfance et faire découvrir ses capacités de metteur en scène. Pour son projet suivant, il souhaite se laisser tenter par l’univers de H.P. Lovecraft et choisit, sous les conseils de son ami Jan Roth, d’adapter l’une de ses plus célèbres nouvelles, La Couleur tombée du ciel. Roth assure le rôle de coproducteur et de superviseur des effets visuels, Vu s’occupe du scénario et de la réalisation, et tous deux se partagent le travail du montage. Plus la production avance, plus il devient évident que l’ambition de Die Farbe (littéralement « La Couleur ») dépasse celle d’un simple film de fins d’études. Les deux compères décident donc d’aller d’abord au bout de leur cycle universitaire avant de pouvoir financer le long-métrage par leurs propres moyens. Pour doter cette histoire d’une coloration nouvelle (elle fut déjà adaptée trois fois à l’écran, dans Le Messager du diable, La Malédiction céleste et Colour From the Dark), elle est relocalisée dans l’espace et dans le temps. Tourné en noir et blanc, le récit se déroule donc dans un village allemand des années 40.


Le film commence à Arkham, dans le Massachusetts, en 1975. Jonathan Davis (Ingo Heise), un jeune Américain, est à la recherche de son père mystérieusement disparu sans laisser de trace. Ses investigations le mènent jusqu’en Allemagne, dans un village isolé près de la frontière française où son père était en poste après la Seconde Guerre mondiale. En interrogeant les villageois, Jonathan finit par recueillir le témoignage d’Armin Pierske (Michael Kausch), un autochtone ayant croisé le disparu dans de très étranges circonstances. Pierske raconte alors la mésaventure vécue avant la guerre par ses voisins les Gärtener, dont le champ fut contaminé suite à la chute d’une météorite aux étranges propriétés. En buvant l’eau du puits, les membres de la famille furent un par un frappés par une contamination lente et inexorable. « Quelque chose ne va pas avec l’eau » lançait à l’époque Armin à son ami Nahum Gärtener (Erik Rastetter) en guise d’avertissement. Mais c’était déjà trop tard…
« Quelque chose ne va pas avec l’eau »
L’entrée en matière de Die Farbe n’est franchement pas très engageante. Le grain vidéo disgracieux, l’emploi trop visible d’effets numériques bon marché, le jeu très approximatif des acteurs, le montage maladroit jouent sérieusement en défaveur du film, qui prend les allures d’un court-métrage semi-amateur artificiellement étiré pour pouvoir durer 90 minutes. Fort heureusement, les choses s’améliorent lorsque l’intrigue s’installe en Allemagne et que les acteurs n’ont plus besoin de se faire passer pour des personnages américains. Le cœur de l’histoire – directement issu de la nouvelle de Lovecraft – est narré en flash-backs, et c’est clairement la partie la plus intéressante du film. Tout le reste est honnêtement très facultatif. Dans la campagne allemande morose et austère d’avant-guerre qu’il filme aux abords de Stuttgart, Huân Vu parvient à bâtir une atmosphère pesante où s’immisce progressivement l’abomination. Préférant l’étrangeté à l’effet choc, le réalisateur opte pour un rythme lent constellé d’images insolites (l’énorme insecte posé sur la tête de la femme en transe) et évite d’en montrer trop pour laisser l’imagination du spectateur faire le plus gros du travail. On note le choix judicieux d’une image en noir et blanc naturaliste (à mi-chemin entre La Nuit des morts-vivants et Carnival of Souls) dans laquelle s’invitent parcimonieusement des teintes colorées étranges, cette fameuse « couleur tombée du ciel » par laquelle le malheur arrive. Non exempt de maladresses (l’une des plus rédhibitoire étant sans doute l’emploi d’images de synthèse trop démonstratives pour donner corps au phénomène d’outre-espace), Die Farbe reste un exercice de style intéressant, très proche en esprit des films produits à faible coût par la « H.P. Lovecraft Historical Society » comme The Call of Cthulhu ou The Whisperer in Darkness.
© Gilles Penso
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