

Dans cette comédie musicale absurde et féerique, un jeune garçon se retrouve prisonnier d’une dictature dirigée par un professeur de piano…
THE 5000 FINGERS OF DR. T
1953 – USA
Réalisé par Roy Rowland
Avec Mary Healy, Peter Lind Hayes, Hans Conried, Tommy Rettig, Jack Heasley, Robert Heasley, Noel Cravat, George Chakiris, Henry Kulky, Harry Wilson
THEMA CONTES
Produit par Stanley Kramer, Les 5 000 doigts du docteur T s’aventure en terrain surréaliste, quelque part entre Le Magicien d’Oz et Alice au pays des merveilles. Le film narre le long cauchemar d’un enfant imaginatif qui vire au conte de fée mâtiné de comédie musicale. Le scénario est signé par le célèbre auteur de romans pour enfants Docteur Seuss, alias Theodore Seuss Geisel (Horton, Le Grinch, Le Chat chapeauté, Le Lorax). Fort du succès du cartoon Gerald McBoing-Boing, Seuss propose dès 1951 un script extravagant, truffé de thèmes sombres hérités des traumatismes de la Seconde Guerre mondiale : domination, oppression et autoritarisme. Cette tonalité grinçante ressurgira dans les décors fantasques et les chorégraphies claudicantes du film. La production, elle, n’a rien d’un conte de fées. En coulisses, c’est la guerre ouverte entre le producteur Kramer et le tout-puissant Harry Cohn, patron de Columbia Pictures. Ce dernier interdit formellement à Kramer de réaliser le film et lui impose Roy Rowland, petit artisan maison à qui l’on doit, entre autres, la romance L’Ange perdu et le western Le Convoi du diable. Résultat : un tournage chaotique, constamment parasité par les interventions de Cohn, qui inonde l’équipe de notes et de directives. Cet accouchement douloureux finira par donner naissance à une œuvre unique.


Bart Collins (Tommy Rettig) est un jeune garçon qui vit avec sa mère veuve, Héloïse (Mary Healy). Il supporte difficilement ses leçons de piano imposées par le strict et autoritaire docteur Terwilliker (Hans Conried), qu’il perçoit comme une figure oppressive. Convaincu que sa mère est sous son influence, Bart tente de trouver du réconfort auprès d’August Zabladowski (Peter Lind Hayes), un plombier bienveillant. Dès l’entame, Bart brise le quatrième mur en s’adressant directement au spectateur pour exprimer ses états d’âmes. C’est alors qu’en pleine séance de piano, le gamin s’assoupit et bascule dans un rêve très bizarre. Dans cet univers onirique, il se retrouve prisonnier de l’Institut Terwilliker, une école imaginaire où le piano est l’unique instrument autorisé. Le docteur T, qui y règne en tyran, a conçu un gigantesque clavier nécessitant 5000 doigts pour être joué, soit 500 enfants contraints de s’exécuter. Dans ce monde fantasmé, sa mère est devenue l’assistante docile – et promise en mariage – du professeur. Pour échapper à cette dictature musicale et libérer sa mère, Bart doit déjouer les règles absurdes de l’Institut et affronter l’infinité d’obstacles dressés sur son chemin.
Sur la touche
Les 5000 doigts du docteur T se distingue par la folle ambition de sa direction artistique. Ses décors multicolores et fantasmagoriques, qui ne sont pas sans évoquer les travaux de William Cameron Menzies, sont signés Rudolph Sternad (Le Train sifflera trois fois, Ouragan sur le Caine, Un monde fou fou fou fou). Le film regorge ainsi d’idées visuelles insolites : un métronome géant qui remplace le tic-tac d’un réveil, de grandes mains sculptées servant de panneaux indicateurs, des murs tordus, un escalier vertigineux qui semble grimper jusqu’aux nuages, et bien sûr ce gigantesque piano qui ondule comme un serpent géant. À mi-chemin entre l’expressionnisme allemand et le cartoon d’avant-guerre, le monde fantasque du docteur T mêle les décors grandeur nature, les maquettes et les peintures. Tandis que l’extérieur de l’institut est une miniature biscornue entourée de fils barbelés électriques, les vues plongeantes sur ses ruelles sombres sont surplombées de gargouilles grotesques. Cette approche visuelle est indiscutablement le point fort du film. Car les numéros musicaux, les chansons et les chorégraphies n’ont rien de très mémorable, malgré quelques idées audacieuses, comme la sarabande des musiciens en haillons « non-pianistes » enfermés dans un cachot. Le casting lui-même est un peu fade, même si Hans Conried (interprète vocal du capitaine Crochet dans Peter Pan la même année) tire son épingle du jeu grâce à sa prestation haute en couleur. Une première version du film ayant été mal reçue lors des projections test, le studio ordonne une semaine de tournage additionnel, dont une nouvelle scène d’ouverture, et supprime neuf des vingt séquences musicales initialement tournées. À l’arrivée, Les 5000 doigts du docteur T est une œuvre bancale et imparfaite, mais pleine de fulgurances dignes de l’imagination sans borne de son auteur.
© Gilles Penso
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