

Woody Allen dirige une fois de plus Mia Farrow, qui campe cette fois-ci une femme expérimentant les effets surnaturels d’étranges plantes médicinales…
ALICE
1990 – USA
Réalisé par Woody Allen
Avec Mia Farrow, Joe Mantegna, William Hurt, June Squibb, Marceline Hugot, Keye Luke, Alec Baldwin, Blythe Danner, Holland Taylor, Peggy Miley, Robin Bartlett
THEMA SORCELLERIE ET MAGIE
C’est un orgelet qui est à l’origine de Alice. Woody Allen, contraint de consulter un praticien en médecine alternative pour soulager sa paupière irritée, en ressort avec une idée en tête : et si les plantes médicinales, en plus de soigner les douleurs physiques, servaient aussi à traiter les maux de l’âme ? Ainsi germe The Magical Herbs of Dr. Yang, titre de travail de ce qui deviendra Alice, une comédie douce-amère sur fond de spiritualité, d’adultère latent et de haute société névrosée. Nous sommes en 1989. Allen, auréolé de son succès critique avec Crimes et délits, entame le tournage de son nouveau long-métrage dans une ambiance tendue. Mia Farrow, sa muse et compagne à l’écran comme à la ville, doit jongler entre les caprices du réalisateur et l’éducation de ses nombreux enfants. Woody, quant à lui, est en mode obsessionnel : chaque plan est minutieusement chorégraphié, chaque intonation analysée, chaque geste rejoué. Certaines prises sont tournées des dizaines de fois, le réalisateur étant incapable de s’arrêter tant qu’il n’atteint pas la nuance exacte qu’il cherche. Ce perfectionnisme frise l’épuisement. Allen finira hospitalisé pour stress peu après la fin du tournage.


Alice Tate (Mia Farrow), épouse bien lotie d’un financier new-yorkais (William Hurt), coule une existence aussi dorée qu’ennuyeuse. Entre les soins esthétiques, les bavardages mondains et les promenades dans les avenues de Manhattan, cette mère de famille passe son temps à ne rien faire. Son mariage semble stable, l’argent coule à flot, les enfants sont élevés par une nounou. Soudain, un mal de dos persistant et inexpliqué s’installe. La rencontre avec Joe Ruffalo (Joe Mantegna), séduisant saxophoniste croisé au détour d’un magasin, agit comme un déclencheur. Alice se découvre une attirance inattendue, mais aussitôt teintée de culpabilité. Issue d’une éducation catholique rigide, elle s’interdit toute tentation, même inavouée. Rongée par l’angoisse et la confusion, elle consulte le mystérieux Dr Yang (Keye Luke), un herboriste qui diagnostique ses maux comme le symptôme d’un blocage existentiel. Son remède ? Des herbes, des breuvages… et un brin de magie. Car les potions du Dr Yang ne se contentent pas de détendre les muscles : elles révèlent les désirs enfouis, matérialisent les souvenirs, permettent de lire dans les pensées ou même de devenir invisible.
Les philtres du docteur Yang
Avec Alice, Woody Allen s’aventure sur un terrain qu’il connaît par cœur, celui de l’introspection névrosée en milieu urbain. Mais là où Zelig ou La Rose pourpre du Caire réussissaient à mêler fantastique et émotion avec virtuosité, Alice trébuche parfois sur ses propres intentions. Le film oscille entre la satire sociale, la fable onirique et la comédie sentimentale sans jamais choisir franchement son camp. Le point fort du film réside sans doute dans sa mise en scène du merveilleux comme quotidien alternatif. L’invisibilité d’Alice, son dialogue avec l’esprit d’un ancien amant (interprété par Alec Baldwin), ou encore l’absorption d’un philtre d’amour par tous les invités d’une réception mondaine sont des moments qui relèvent d’un humour doux-amer détournant les motifs d’Alice au pays des merveilles. Mais voilà : les états d’âme d’Alice, femme privilégiée et pourtant perpétuellement insatisfaite, peinent à susciter la moindre empathie. Il nous est difficile de compatir à ses doutes existentiels quand tout, autour d’elle, respire le luxe et le confort. En pleine crise, Mia Farrow imite carrément la voix de Woody Allen, sa façon de s’exprimer avec un débit vertigineux, hyper nerveux et nasillard. La muse devient ainsi le prolongement de son pygmalion – mais sans la chaleur ou l’humour qui rendaient Annie Hall si attachante. Le fantastique ici ne transcende pas l’intrigue. Il la survole, l’effleure, sans jamais l’approfondir. Comme si le film lui-même refusait de dépasser le cadre de l’anecdote.
© Gilles Penso
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