LE MORT QUI MARCHE (1936)

Boris Karloff incarne un condamné à mort injustement accusé qui est miraculeusement ressuscité par un scientifique exalté…

THE WALKING DEAD

 

1936 – USA

 

Réalisé par Michael Curtiz

 

Avec Boris Karloff, Ricardo Cortez, Edmund Gwenn, Marguerite Churchill, Warren Hull, Barton MacLane, Joe King

 

THEMA ZOMBIES

Après Le Fantôme vivant, Boris Karloff joue un nouveau mort-vivant, mais cette fois-ci ce n’est plus un savant fou féru d’égyptologie. Il s’agit d’un homme injustement exécuté, revenu d’entre les morts pour réclamer justice. Loin du film de zombies traditionnel que son titre semble annoncer aujourd’hui (The Walking Dead en V.O., sept décennies avant le comic book et la série qui populariseront l’expression), ce long métrage signé Michael Curtiz mêle le drame judiciaire, le film de gangsters et le conte surnaturel en un cocktail étonnant. Le film s’ouvre sur une Amérique rongée par la corruption. John Elman (Karloff), ancien détenu tout juste libéré, tente de se réinsérer mais se retrouve piégé par une bande d’avocats véreux. Ces derniers assassinent le juge Shaw – celui-là même qui avait condamné Elman des années plus tôt – et font porter le chapeau à leur bouc émissaire idéal. Arrêté, jugé et condamné à mort, Elman est électrocuté avant que n’apparaisse la preuve de son innocence. Trop tard : la justice des hommes a déjà frappé. C’est là qu’intervient le docteur Evan Beaumont (Edmund Gwenn), scientifique humaniste obsédé par la frontière entre vie et mort. À peine la sentence exécutée, il récupère le corps du condamné et le ramène à la vie dans une séquence d’expérimentation qui n’est pas sans rappeler celle du laboratoire de Frankenstein, avec son lot d’arcs électriques, de générateurs crépitants et d’instruments improbables.

Toutefois, contrairement au docteur Frankenstein, Beaumont n’est pas mû par la démesure ou l’orgueil : il cherche, sincèrement, à comprendre. Et c’est cette bienveillance scientifique, rare à l’époque dans le cinéma d’épouvante, qui donne au film son ton singulier. Lorsque John Elman rouvre les yeux, ce n’est plus tout à fait un homme. Sa mémoire est fragmentée, son regard hanté. Peu à peu, il retrouve ceux qui l’ont trahi, les reconnaissant sans mots, comme guidé par une intuition surnaturelle. Les conspirateurs tombent les uns après les autres, non sous la violence brute, mais comme frappés par leur propre peur. Karloff, sans maquillage extravagant, fait de son visage blafard une surface d’expression saisissante. Son regard fixe, son pas mécanique et sa mèche de cheveux blanchie suffisent à incarner la mort en marche. Dans ces moments, The Walking Dead rejoint la grande tradition expressionniste venue d’Allemagne, dont Curtiz, lui-même émigré d’Europe centrale, connaissait bien les codes.

« Laissez les morts à leur créateur »

Le futur réalisateur de Casablanca injecte dans son récit un sens du cadre et de la lumière déjà virtuose. Les ombres de la prison se projettent sur les murs, les barreaux découpent les visages et la mise en scène préfigure les futurs contrastes visuels du film noir. Une scène particulièrement marquante montre Karloff jouant du piano, son visage partiellement flouté par la lumière, tandis que les coupables assistent, pétrifiés, à une sorte de jugement silencieux. Cette dimension quasi biblique culmine dans les dernières minutes, lorsque Beaumont, penché sur Elman agonisant pour lui demander ce qu’il a vu « de l’autre côté », reçoit pour toute réponse : « Laissez les morts à leur créateur. Le Seigneur notre Dieu est un Dieu jaloux. » Le Mort qui marche fonctionne donc aussi comme une parabole morale, celle d’un homme que la science ramène parmi les vivants pour achever ce que la justice terrestre a manqué. Si le scénario reste schématique et que la narration s’étire parfois dans des dialogues convenus, Curtiz parvient, en à peine soixante-dix minutes, à créer une atmosphère de malaise fascinante. Quant à Karloff, toujours d’une humanité bouleversante, il renverse le mythe du revenant en y insufflant la dimension d’un martyr.

 

© Gilles Penso

À découvrir dans le même genre…

 

Partagez cet article