CACHEZ CETTE QUEUE QUE JE NE SAURAIS VOIR !
A l’occasion de deux articles précédents, Le pire ennemi de Spider-Man et Les traductions calamiteuses de Spider-Man,
je soulignais le traitement honteux
que les éditions Panini avaient fait subir aux aventures de notre
cher homme-araignée en affublant ses rééditions de traductions
grotesques et d’une qualité d’impression tout juste passable, aux
couleurs délavées et aux contrastes approximatifs. Mais les
Intégrales Spider-Man de Panini ont au moins un mérite, et pas des
moindres : elles nous permettent de redécouvrir tous les récits de
la série Amazing Spider-Man dans l’ordre, sans interruption et
surtout sans censure. Car les éditions Lug, détentrices en France des
droits Marvel des années 60 aux années 90, se permirent
beaucoup de libertés avec le matériau mis à leur disposition.
(Cliquez sur les images pour les agrandir)
Spider-Man fit son apparition en France dans les revues Fantask, Marvel et Strange. Là,
l’anarchie régnait quelque peu. Certains épisodes furent allégés de
quelques pages, d’autres purement et simplement supprimés, d’autres
encore publiés dans le désordre. Mais le pire affront fut la
présence d’une censure permanente. Mises en garde par un article de loi
édicté par le Ministère de l’Intérieur et menaçant de faire
interdire toute revue susceptible de s’avérer « dangereuse pour la
jeunesse », les éditions Lug pratiquèrent une auto-censure fréquente,
s’équipant même d’un atelier de retouche spécifiquement
destiné à alléger certaines cases d’un contenu jugé peu adapté au
lectorat.
La plupart de
ces retouches concernait la violence des combats. Ainsi, si Spider-Man
frappait trop fort un adversaire… on faisait
disparaître l’adversaire, tout simplement, comme le montre cette
double image (à gauche la version Panini, à droite la version Lug).
Si notre
homme-araignée, un peu énervé, s’acharnait trop fort sur le docteur
Octopus, les gros plans étaient effacés, ni vus ni connus
!
Du coup, la
plupart des onomatopées du comics original ont disparu, afin d’atténuer
l’impact des coups frappés par les personnage. Lorsqu’un
personnage comme le Rhino défonçait un mur avec grand bruit, la
version Lug effaçait carrément tout le décor et transformait la
destruction en simple cavalcade…
Ce choix
pouvait donner des résultats très étranges, comme cette case où le
Rhino, censé fracasser une voiture, fonce dans le vide…
Sujet
particulièrement sensible, le problème de la drogue fut abordé
frontalement par Stan Lee dans un triple épisode qui, étrangement, ne
fut pas censuré par Lug… à l’exception d’une case montrant Harry
Osborn en plein désarroi, au milieu d’une pluie de pilules nocives. La
case est restée, mais les pilules ont disparu.
Mais c’est
sans conteste le personnage du Lézard qui a subi le plus les affres de
la censure. Sa première rencontre avec l’Homme-Araignée,
dans Amazing Spider-Man n°6, ne fut d’ailleurs jamais publiée par
Lug ! La double case ci-dessous est célèbre. Elle provient de l’épisode
40 de Spectacular Spider-Man, traduit en France dans le
n°37 de Nova. Affolés par la métamorphose du héros en
araignée-lézard, les frileux éditeurs français demandèrent à l’un de
leur dessinateur maison d’en proposer une version plus soft…
D’une manière
générale, tous les gros plans du Lézard étaient effacés, coupés ou
remplacés, de peur de heurter la sensibilité des lecteurs.
En voici un exemple. A gauche l’intégrale de Panini, à droite le
même épisode publié dans Strange, avec une savante réorganisation du
texte pour masquer le faciès menaçant.
Mais les
séquences n’avaient pas besoin d’être violentes pour être censurées. A
ce titre, le choix le plus étrange des éditions Lug fut de
faire systématiquement effacer la queue du Lézard dans toutes les
cases où il apparaissait !
Ce parti pris
bizarre et systématique dura jusqu’à la fin des années 80, sans
explication logique… Pourquoi donc la queue serait-elle «
dangereuse » pour la jeunesse ? Un psychanalyste s’amuserait
probablement à en trouver la raison…
Le Lézard
n’est d’ailleurs pas le seul personnage à se voir priver de sa queue. Le
petit monstre Gog, recueilli par Kraven le chasseur, a
subi le même sévice !
Alors comment
trouver la solution idéale ? A ma gauche les Strange de notre enfance
qui nous ont tant fait rêver, aux couleurs superbes et
aux traductions soignées, mais tronqués par une censure permanente
et absurde. A ma droite les Intégrale Spider-Man qui restituent tous les
épisodes sans coupure, dans la continuité, mais
souffrent de traductions atroces et d’une impression baveuse. Et si
nous avions une troisième option, reprenant le meilleur des deux
versions ?
C’est le
projet fou dans lequel je me suis lancé, qui consiste à reconstituer
l’intégralité des épisodes de la saga « Amazing Spider-Man »,
dans l’ordre, en réutilisant prioritairement les publications de Lug
(Strange, Marvel, Fantask, Une Aventure de l’Araignée) et en restituant
toutes les pages coupées et toutes les cases censurées
à l’aide du matériau original. Un travail de longue haleine, de
titan, de fou sans doute, mais que je serai heureux de partager
lorsqu’il sera achevé. En voici un petit aperçu ci-dessous. En haut
une planche de chez Panini, délavée mais non retouchée. Au milieu la
même planche chez Lug, aux couleurs bien retsituées mais dont le Lézard
a perdu la queue. Et en bas la version alternative,
qui reprend les couleurs et les traductions de chez Lug mais rend au
Lézard sa queue !
Je ne suis pas au bout de mes peines, mais quand on aime, on ne compte pas !
Excelsior !
Gilles Penso
LES TRADUCTIONS CALAMITEUSES DE SPIDER-MAN
a suscité de nombreuses réactions.
La grande majorité d’entre elles m’a permis de comprendre que je
n’étais pas le seul consterné par ce travail bâclé, vulgaire, traité
souvent sans le moindre souci de la logique, voire de la
syntaxe la plus élémentaire. Certes, il y eut bien quelques
détracteurs arguant que mon acharnement contre la traductrice Geneviève
Coulomb était abusif dans la mesure où celle-ci n’est plus en
fonction depuis plusieurs années et aurait même pris une retraite
anticipée après avoir découvert les violentes diatribes que ses textes
provoquèrent auprès des internautes fans de comics. Parmi
les voix qui m’incitèrent à modérer mes propos, certaines
affirmèrent que les traducteurs sont souvent sous-payés et n’ont donc
pas les moyens de livrer un travail de qualité, d’autres que les
textes des années 70 méritaient d’être un peu modernisés pour mieux
coller au public actuel.
objectif n’était pas de tirer à vue sur cette brave dame que je ne
connais pas et dont je ne peux que juger le travail dans
les bulles des BD soumises à ses bons soins. Mais ce que j’ai lu –
c’est-à-dire la totalité des textes des aventures de Spider-Man qu’elle
traduisit en français – m’a pronfondément affligé.
Etait-elle sous-payée ? Peut-être. Mais faut-il plus de temps pour
traduire correctement “oh no!” par “oh non !” que par “crotte”, “merde”,
“calamitas” ou les mille et une autre interjections à
côté de la plaque dont Geneviève saupoudre son vocabulaire ?
Fallait-il moderniser les textes ? Pourquoi pas ? Mais en quoi
“schmilblik”, “la tatouille du siècle”” ou “Ducon Lajoie” (!!!)
sont-ils des expressions modernes et appréciables par le jeune
public ?
constater l’étendue des dégâts, j’ai joué le jeu de la comparaison. A
gauche, les traductions proposées par les éditions Lug
dans les années 70/80. A droite, celles de Geneviève Coulomb
publiées par Panini. Enjoy !
dialogues en plein délire…
qu’il m’explique !
!
certes, Geneviève a pris sa retraite et ne sévit plus dans les pages de
notre bon vieux monte-en-l’air. Mais qui nous
donnera enfin des rééditions dignes de ce nom avec des textes
expurgés de tous ces délires bourrés d’argot surréaliste, d’insultes
grotesques, de contresens et de fautes ? En attendant, je
conserve précieusement mes vieux Strange, et je vous conseille d’en
faire autant…