CANNIBAL HOLOCAUST (1980)

Abordant le cannibalisme le plus effroyable sous un angle pseudo-documentaire, Ruggero Deodato invente le «found footage» avant la lettre

CANNIBAL HOLOCAUST

1980 – ITALIE

Réalisé par Ruggero Deodato

Avec Francesca Ciardi, Perry Pirkanen, Robert Kerman, Lucas Barbareschi, Gabriel Yorke, Salvatore Basile

THEMA CANNIBALES

Reprenant les thématiques qu’il développa deux ans plus tôt dans Le Dernier monde cannibale, Ruggero Deodato signe avec Cannibal Holocaust le plus marquant et le plus controversé des films italiens consacrés aux rites anthropophages de peuplades primitives. L’entrée en matière, quasiment idyllique, ne laisse guère imaginer les abominations que réserve le long-métrage au spectateur. Car les premiers plans sont des vues aériennes d’une splendide jungle sud-Américaine, tournées dans la région Colombienne et serties dans une langoureuse mélodie que composa le très prolifique Riz Ortolani (La Vierge des Nurenberg, Danse macabre, Les Fantômes de Hurlevent). « J’aime le décalage entre l’horreur à l’écran et la douceur de la musique », nous explique Ruggero Deodato. « Quand j’ai tourné Cannibal Holocaust, je ne connaissais pas personnellement Riz Ortolani mais j’avais adoré la musique qu’il avait écrite pour Mondo Cane. Le producteur ne savait pas s’il serait disponible parce que c’était un compositeur très sollicité. Alors j’ai appelé Sergio Leone, que je connaissais bien, et je lui ai demandé de me mettre en contact avec lui. Ritz m’a rencontré, a regardé le film avec moi sur la visionneuse. A la fin, il m’a dit : “Deodato, tu es un grand metteur en scène, ce film me plaît beaucoup, je veux le faire !“. Ce fut le début d’une longue collaboration. » (1)

Le récit se centre sur Harold Monroe, un éminent anthropologue new-yorkais qui dirige une expédition au cœur d’une forêt dense et peu connue surnommée « l’enfer vert », quelque part aux alentours du Brésil. Son équipe est à la recherche de quatre occidentaux partis tourner un documentaire sur les tribus cannibales, sous la direction du cinéaste Alan Yates. Au beau milieu de deux peuplades anthropophages, les Yakumo et les Yamami, l’équipe de secours trouve les cadavres amochés des documentaristes ainsi que plusieurs bobines de films. De retour à New York, Monroe se voit confier par la télévision la présentation d’une émission spéciale consacrée à l’expédition d’Alan Yates. Il visionne alors les morceaux de pellicule trouvés dans la jungle, en compagnie des producteurs, et le résultat s’avère horrifiant… pour lui comme pour les spectateurs du film. On y voit en effet Yates et son équipe torturer, violer et tuer sans aucun scrupule les membres des tribus qu’ils rencontrent, afin d’obtenir les images les plus choquantes possibles. En l’occurrence, ils ne sont guère déçus, car les indigènes se vengent de fort sanglante manière.

Dénoncer les atrocités en les montrant ?

Ruggero Deodato s’efforce ainsi de dénoncer les atrocités du monde dit civilisé, et de détourner le cliché du sauvage cannibale, mais la complaisance des séquences d’horreur laisse dubitatif quant à l’honnêteté véritable de ses intentions. Des jambes y sont tranchées à la machette, une femme adultère avortée violemment par des sauvageonnes surexcitées, les viols, les émasculations et les empalements s’y étalent sans retenue. Sans compter les multiples massacres d’animaux qui, eux, ont réellement été commis face à la caméra : tortue éviscérée, rat-musqué écorché vif, cochon abattu d’une balle en pleine tête, serpent décapité… Autant de séquences scandaleuses et parfaitement gratuites qu’aucun film ne saurait justifier. « Je suis le premier à regretter d’avoir tourné ces scènes », nous avoue Deodato. « Elles n’ont pas été filmées par moi directement mais par le producteur, que j’ai laissé faire. Le guide que nous avions sur place nous a indiqué quels animaux choisir, car ceux-ci allaient ensuite servir de nourriture aux Indiens qui jouaient dans le film. C’est ainsi qu’ont été sélectionnés la tortue, le porc, les rats et les singes. Nous limitions ainsi les dégâts en transformant ces animaux en repas. Je n’aime pas ces scènes, et j’ai encore beaucoup de mal à revoir celle du massacre de la tortue, que je trouve douloureuse. » (2) L’ensemble est filmé avec un réalisme tel qu’on jurerait visionner les images d’un véritable reportage, et c’est sans doute là que Cannibal Holocaust tire la majeure partie de sa force. Deodato entretint d’ailleurs le doute à ce sujet, à tel point qu’il fut condamné par un tribunal et contraint de prouver  la non-authenticité des prises de vues. Une fois cette affaire réglée, Cannibal Holocaust n’en demeura pas moins interdit de projection partout dans le monde, pour cause d’obscénité, et ne fut visible qu’à partir de 1983, date à laquelle le réalisateur, malin, tira profit de ce bannissement pour en faire l’un des éléments clefs de la promotion du film.

(1) et (2) Propos recueillis par votre serviteur en septembre 2016

© Gilles Penso

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