L’EMPIRE DE LA TERREUR (1962)

Seul film à sketches du cycle d'adaptations d'Edgar Poe que Roger Corman signa dans les années 60, L'Empire de la terreur offre trois rôles distincts à Vincent Price

TALES OF TERROR

1962 – USA

Réalisé par Roger Corman

Avec Vincent Price, Peter Lorre, Basil Rathbone, Maggie Pierce, Leona Gage, Joyce Jameson, Debra Paget, David Frankham 

THEMA FANTÔMES I MAMMIFERES I ZOMBIES I SAGA EDGAR POE PAR ROGER CORMAN

Pour sa quatrième adaptation des écrits d’Edgar Poe, Roger Corman a opté pour la structure d’un film à sketches. L’idée est excellente, car l’un des rares reproches qu’on pourrait faire aux trois films précédents est leur rythme un peu lent, étirant parfois à l’extrême des intrigues qu’une demi-heure aurait souvent suffi à raconter. De fait, L’Empire de la terreur est l’un des meilleurs films de cette mémorable collection. Cet extraordinaire triptyque est dominé par le talent de Vincent Price, campant trois personnages aussi dissemblables que faire se peut, et entouré d’un casting de haut niveau. Le premier sketch s’inspire très vaguement de la nouvelle « Morella ». Price y incarne le taciturne Locke. Depuis le trépas de sa femme, il y a vingt-six ans, il a sombré dans l’alcoolisme et rend sa fille Lenora responsable de cette mort. Lorsque celle-ci lui rend visite dans son immense demeure abandonnée aux toiles d’araignées, autant dire qu’elle reçoit un accueil glacial. Une nuit, Lenora découvre le corps momifié de sa mère, que Locke n’a pu se résoudre à enterrer. L’esprit de Morella prend possession dès lors de Lenora… Au-delà de la nouvelle « Morella », le récit semble aussi puiser son inspiration dans « Ligeia » et évoque surtout La Chute de la maison Usher que réalisa Corman deux ans plus tôt. Le personnage joué par Price, les décors et le dénouement incandescent y ressemblent étonnamment.

La deuxième histoire adapte avec pas mal de libertés « Le Chat Noir » en y greffant surtout des éléments de « La Barrique d’Amontillado ». Cette fois-ci, Price est l’aristocrate caricatural Fortunato Luchresi, qui séduit l’épouse de Montresor, un incorrigible alcoolique auquel l’excellent Peter Lorre prête ses traits arrondis et son regard fou. Lorsqu’il découvre le pot aux roses, Montresor fomente une cruelle vengeance. Son plan semble parfait, mais c’était sans compter sur le chat noir de son épouse… L’ensemble du sketch baigne dans un humour noir omniprésent, et la scène des goûteurs de vin, notamment, est un sommet de dérision jubilatoire, porté par les dialogues brillants de Richard Matheson.

« Une abominable putréfaction »

Le dernier conte revient à un ton sérieux, reprenant la trame de « la Vérité sur le cas de Monsieur Valdemar » en y ajoutant un chantage machiavélique. Ici, Price est un vieillard à l’article de la mort. Pour repousser l’instant fatidique et chasser la douleur, il a eu recours aux services du docteur Carmichael, un hypnotiseur qui l’a plongé dans une transe le laissant ni mort, ni vivant. Carmichael, interprété par un Basil Rathbone au regard libidineux et dégoulinant de duplicité, profite de la situation pour réclamer les faveurs de l’épouse de Valdemar. Mais celui-ci revient d’entre les morts, sous forme d’un zombie vengeur, et s’en prend au sinistre hypnotiseur. Le final plonge dans l’horreur grand-guignolesque, le corps tout entier de Valdemar se décomposant en accéléré pour ne devenir qu’un immonde amas d’os et de chairs liquéfiées, une vision de cauchemar qui renvoie directement aux mots qu’Edgar Poe emploie pour achever cette nouvelle : « Sur le lit, devant tous les témoins, gisait une masse dégoûtante et quasi liquide, – une abominable putréfaction. »

 

© Gilles Penso

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