SKYFALL (2012)

Sam Mendes s'approprie l'univers James Bond auquel il apporte une esthétique et une sensibilité très personnelles

SKYFALL

2012 – GB / USA

Réalisé par Sam Mendes

Avec Daniel Craig, Ralph Fiennes, Javier Bardem, Helen McCrory, Ben Whishaw, Judi Dench, Naomie Harris

THEMA ESPIONNAGE ET SCIENCE-FICTION I SAGA JAMES BOND

Une silhouette noire, à peine humaine, avance en dehors du champ de netteté de la caméra, accompagnée par un éclat de cuivres puissant. En quelques secondes, James Bond retrouve le statut d’icône que les deux épisodes précédents avaient eu tendance à gommer volontairement. Daniel Craig surgit alors sur le lieu d’une fusillade sanglante. Sa cible est un homme en fuite dans les rues d’Istanbul. L’enjeu semble crucial, M et tout le MI6 sont sur le qui-vive, prêts à sacrifier des vies précieuses pour ne pas laisser filer le fuyard. La poursuite s’engage sur le toit d’un train et prend une tournure spectaculaire, tandis qu’un agent de terrain seconde 007 à distance. Mais l’opération tourne mal… En dire plus serait déflorer une intrigue qui, par ses rebondissements, accumule les surprises, les paris osés et les chocs au sein d’une franchise qu’on croyait pourtant parfaitement balisée. Toute la singularité du 23ème James Bond officiel repose sur des choix à priori antithétiques : assurer une continuité directe avec la saga tel qu’elle fut redéfinie par Casino Royale, marquer de nombreuses ruptures souvent déstabilisantes tout en se référant aux premiers films de la série.

Skyfall est donc un exercice d’équilibrisme, dont les inévitables incohérences sont liées au statut paradoxal de son héros : un espion qui a connu la guerre froide et sévit toujours dans les années 2010, dont le visage change tous les dix ans, dont l’entourage professionnel vieillit ou rajeunit au fil des épisodes, et qui semble finalement appartenir à toutes les époques. Mais chaque parti pris de Skyfall, si outrancier soit-il, parvient à séduire. L’action y demeure époustouflante (et parfaitement lisible, contrairement aux séquences frénétiques de Quantum of Solace), les décors mémorables (avec une mention spéciale pour cette île abandonnée jonchée d’immeubles en ruine), la photographie somptueuse (le combat en ombres chinoises à Shangaï est une trouvaille géniale), les seconds rôles savoureux (Ralph Fiennes intègre l’équipe avec bonheur), et le méchant troublant. Malgré un look disco excessif, Javier Bardem est saisissant sous la défroque d’un super-vilain psychopathe aux motivations complexes. Sa première apparition, dans un long plan-séquence qui le révèle progressivement tandis qu’il conte un récit morbide, marque l’adéquation parfaite entre le jeu du comédien et la mise en scène.

Un pan du passé jusqu'alors inconnu

Sam Mendes, habitué jusqu’alors aux drames réalistes (American Beauty, Les Noces rebelles), se réapproprie ainsi avec talent le mythe Bond auquel il greffe l’un de ses collaborateurs réguliers, le compositeur Thomas Newman. Lorsque le film décide de revenir aux sources, il ne se contente pas de cligner de l’œil vers les années 60 (avec le retour en force de la célèbre Aston Martin de Goldfinger) mais révèle un pan du passé jusqu’alors inconnu de notre agent très spécial, nous transportant dans la lande écossaise où se prépare un climax brutal digne des Chiens de paille. Cerise sur le gâteau, une émotion vive et sincère nous étreint en fin de métrage et perdure pendant le générique de fin, tandis que la signature « James Bond reviendra » emplit tout l’écran, une promesse familière qui ne cesse de transporter le public depuis maintenant cinq décennies.


© Gilles Penso

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