CRIMSON PEAK (2015)

Guillermo del Toro rend hommage aux récits d'épouvante gothique classiques en situant son film dans une splendide maison hantée

CRIMSON PEAK

2015 – USA

Réalisé par Guillermo del Toro 

Avec Mia Wasikowska, Tom Hiddletson, Jessica Chastain, Jim Beaver, Charlie Hunnam

THEMA FANTÔMES

S’il fallut attendre presque dix ans pour que Crimson Peak voie le jour, alors que Guillermo del Toro le préparait dès 2006, c’est pour une raison financière découlant d’une décision artistique cruciale. Le cinéaste souhaitait en effet que le décor principal, une vieille maison branlante dans laquelle s’installe le trio constitué d’Edith Cushing (Mia Wasikowska), Lucille Sharpe (Jessica Chastain) et Thomas Sharpe (Tom Hiddletson), ne soit ni numérique, ni recyclé à partir d’un manoir existant, mais entièrement fabriqué pour les besoins du film. Ce décor splendide, dont les espaces sinistres s’étendent sur trois étages, devient dès lors un quatrième personnage à part entière. Tel l’épave d’un navire échoué, ce manoir trop grand, trop vieux, trop abîmé, semble s’enfoncer lentement dans le terrain meuble et boueux sur lequel il est édifié, tandis que son toit éventré laisse tomber sans discontinuer les feuilles en automne et la neige en hiver. De toute évidence, cette maison hautaine et déchue, héritière directe des « grandes dames hantées » de La Maison du Diable ou de La Chute de la Maison Usher, est la métaphore de l’esprit tourmenté de ses habitants, peuplé de secrets, de mystères et de souvenirs macabres. La dualité de cette vaste demeure, à la fois belle et laide, permet à Guillermo Del Toro d’aborder frontalement l’une de ses thématiques les plus récurrentes : l’opposition entre l’humanité et la monstruosité.

Comme dans L’Echine du Diable, les spectres surgis d’outre-tombe ne représentent pas une menace réelle mais font plutôt office d’avertissement, l’horreur véritable se nichant dans les actes des mortels. Del Toro entretient l’ambiguïté en dotant ses revenants d’un design extrêmement repoussant, à mi-chemin entre le zombie en décomposition et le démon grimaçant. Sans doute a-t-il d’ailleurs trop forcé le trait, l’excès de leur monstruosité et l’ajout d’effets numériques éthérés nuisant quelque peu à leur crédibilité et à leur pouvoir de fascination. Mais l’effet de surprise demeure, tout comme le détournement d’attention. Toute occupée qu’elle est à fuir les fantômes la harcelant régulièrement, notre héroïne ne voit pas le vrai visage du mal, beaucoup plus ancré dans le monde réel. La violence inouïe avec laquelle éclatent les exactions humaines – agressions, meurtres, mutilations – n’en est que plus choquante.

Le vrai visage du mal

Si les influences de Del Toro semblent principalement littéraires, il est impossible de ne pas y sentir aussi celle des grands films gothiques d’Alfred Hitchcock, Mario Bava, Roger Corman, Terence Fisher ou Riccardo Freda. Cette source d’inspiration s’étend bien au-delà du patronyme « Cushing » choisi pour le personnage principal. Elle contamine peu à peu tout le métrage. Lorsqu’Edith déambule nuitamment dans la maison sinistre, un chandelier à la main, il est difficile de ne pas penser à Barbara Steele dans L’Effroyable Secret du Docteur Hichcock. Comme un peintre soucieux d’utiliser soigneusement la palette idéale pour parachever son tableau, Guillermo del Toro s’est adjoint les services des artistes les plus adaptés à son univers, parmi lesquels il faut citer les comédiens mais aussi le chef décorateur Thomas Sanders, la costumière Kate Hawley et le compositeur Fernando Velazquez, dont les splendides accords symphoniques résonnent encore longtemps dans nos esprits après le visionnage du film.

 

© Gilles Penso

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