SCARY STORIES (2019)

Guillermo del Toro produit ce film à sketches inspiré par les nouvelles d'Alvin Schwartz et dirigé par le réalisateur de The Troll Hunter

SCARY STORIES TO TELL IN THE DARK

2019 – USA

Réalisé par André Øvredal

Avec Zoe Margaret Colletti, Michael Garza, Austin Abrams, Gabriel Rush, Austin Zajur, Natalie Ganzhom, Dean Norris, Gil Bellows, Doug Jones

THEMA DIABLES ET DÉMONS

A l’origine, plusieurs recueils de nouvelles pour enfants (souvent basées sur des légendes urbaines) signées Alvin Schwartz entre 1981 et 1991, agrémentées des terrifiantes illustrations de Stephen Gammell, occasionnant de sacrés cauchemars aux lecteurs les plus aventureux, dont un certain Guillermo Del Toro. Ce dernier ira même, dans une période financière difficile, jusqu’à s’endetter pour acquérir un dessin original, preuve d’amour irréfutable qui ne pouvait se solder que par une adaptation cinématographique. Au départ envisagé pour la réaliser lui-même, le Mexicain préfère déléguer le poste à son seul et unique choix, le norvégien André Øvredal, dont il adore le fameux The Troll Hunter et le soigné The Jane Doe Identity. Del Toro, épaulé par le duo Patrick Melton/Marcus Dunstan (scénaristes de plusieurs épisodes de la saga Saw), décide de porter à l’écran les histoires les plus traumatisantes de Schwartz, et, plutôt que de suivre à la lettre la formule structurelle usuelle du film à sketches, fusionne plusieurs récits indépendants avec son intrigue principale (à l’image du majestueux Trick r’ Treat de Michael Dougherty). A savoir les pérégrinations d’un groupe de jeunes amis menés par Stella, romancière en herbe, découvrant le soir d’Halloween un livre écrit par la mystérieuse Sarah Bellows, ouvrage qui semble déceler leurs peurs les plus intimes et les matérialiser…

L’une des qualités premières de l’entreprise est de ne pas surfer sur la vague Stranger Things et sa nostalgie des glorieuses années 80 qui commence dangereusement à sentir le réchauffé (malgré une affiche française opportuniste qui, elle, ne s’est pas privée de l’analogie). L’action se situant à la fin des années 60 porte plutôt le sceau de Stephen King et de sa contextualisation historique et politique, rappelée ici à plusieurs reprises
par des écrans de télévision affichant des images du conflit au Vietnam et de l’élection de Richard Nixon. La décision de respecter la cible enfantine du matériau originel est ouvertement assumée : ici point d’éclaboussures gore ou de tension insoutenable. A l’instar de La Prophétie De L’Horloge et ses explosions de citrouille, les moments de violence sont habilement détournés (voir la séquence de l’épouvantail où la paille remplace le sang). Les aficionados de Chair De Poule seront donc aux anges, les autres pourront toujours passer poliment leur chemin. La patte poétique de Del Toro demeure néanmoins bien prégnante, sa passion immodérée pour les monstres s’exprimant à la moindre occasion et bénéficiant au maximum d’effets spéciaux en dur. L’admiration du bonhomme pour le travail d’orfèvre de Gammell n’est également jamais démentie, la direction artistique et le design des créatures infernales venues tourmenter nos héros demeurant d’une fidélité exemplaire au coup de crayon du dessinateur.

Monstres en série

La bonne idée est d’avoir assigné à chacun ses propres bourreaux et segments en fonction de sa personnalité et de ses démons spécifiques : Ramon le Mexicain essaye d’échapper au service militaire et au racisme, il se voit poursuivi par l’impitoyable Jangly Man, désarticulé et morcelé comme lui au niveau identitaire ; Auggie est obsédé par le manger sain et déguste un ragoût dans lequel nage un gros orteil au détour d’une scène qui convoque le grotesque très comic book d’un Creepshow ; Chuck est étouffé par sa mère et se retrouve en proie à l’affection suffocante de la Pale Lady (homologue féminin du Pale Man du Labyrinthe de Pan au sourire dérangeant qui s’octroie la meilleure séquence) etc… Cette lecture psychologique, saupoudrée d’une réflexion en filigrane sur le pouvoir salvateur et évocateur de l’écriture, élève le métrage au-delà du tout-venant horrifique actuel. On pourra cependant reprocher à Guillermo, dans sa vampirisation du projet, d’en troubler l’originalité, l’œuvre se rapprochant par trop de ses propres travaux de cinéaste ou de producteur (on pense autant à Mama qu’à Crimson Peak), tout comme on sera en droit de le blâmer, du fait de son intention honorable de proposer un spectacle familial, d’annihiler la possibilité de toute angoisse véritable passé l’âge de rigueur. Si Scary Stories laisse au final peu de traces inconscientes une fois le générique de fin terminé, accusant un flagrant déficit de moments marquants et quelques longueurs, ce ténébreux livre d’images sait toutefois assez bien jouer de son charme suranné et bricolé pour permettre de passer un bon moment à l’ancienne. 

© Julien Cassarino

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