FAUX-SEMBLANTS (1988)

David Cronenberg dirige Jeremy Irons dans le rôle bouleversant de deux médecins jumeaux unis par un lien anormalement fusionnel…

DEAD RINGERS

 

1988 – USA / CANADA

 

Réalisé par David Cronenberg

 

Avec Jeremy irons, Geneviève Bujold, Heidi Von Palleske, Barbara Gordon

 

THEMA DOUBLES I MÉDECINE EN FOLIE

Dès les premières secondes de Faux-semblants, une atmosphère insolite s’instille lentement, presque à pas feutrés, comme pour annoncer discrètement que la carrière de David Cronenberg est en train d’amorcer un tournant décisif. Alors que s’égrènent des gravures médicales d’un autre âge, la musique faussement paisible d’Howard Shore laisse ainsi affleurer un malaise à peine perceptible… Pour son onzième long-métrage, le réalisateur de La Mouche s’intéresse au destin trouble de deux personnages réels, les frères Stewart et Cyril Marcus, dont la vie fut romancée en 1977 dans le roman « Twins » de Bari Wood et Jack Geasland. D’abord titré Gemini puis Twins (un titre qui sera récupéré par Ivan Reitman pour sa comédie Jumeaux), le film s’appellera finalement Dead Ringers, une expression qui signifie en substance « la mort des copies conformes » et que les distributeurs français traduiront habilement par Faux-semblants. Après avoir envisagé tour à tour William Hurt et Robert de Niro dans le double rôle principal, la production arrête finalement son choix sur Jeremy Irons, qui livre sans doute ici l’une de ses prestations les plus intenses et les plus bouleversantes.

Passionnés par le corps humain depuis leur enfance, inventeurs d’un instrument chirurgical révolutionnaire alors qu’ils sont encore étudiants en médecine, les frères jumeaux Beverly et Elliot Mantle sont devenus de brillants gynécologues. S’ils sont physiquement identiques, cette ressemblance n’est qu’apparente. Elliott est le dominant, le frivole, le cynique. Beverly est le dominé, le sérieux, le scrupuleux. L’assurance de l’un contraste sans cesse avec l’embarras de l’autre. En auscultant Claire Niveau (Geneviève Bujold), une célèbre actrice, Eliott est fasciné par son anatomie hors-norme : elle possède trois cols de l’utérus. « Il faudrait faire des concours de beauté interne », lui affirme-t-il. Comme souvent, les jumeaux se font passer l’un pour l’autre et partagent les mêmes femmes, y compris Claire. Mais pour Beverly, ce n’est plus un jeu. Il tombe amoureux de leur dernière conquête et souhaite la garder pour lui seul. « Là, on arrive en terrain inconnu », constate Elliott. Plus tard, il avouera à Claire : « Tu introduis un élément perturbateur dans la saga des frères Mantle ». Cette « saga », c’est un lien fusionnel, malsain, quasi-surnaturel qui unit les deux frères, et qui s’apprête à faire basculer le duo dans la folie et dans l’horreur…

Double jeu

« Le côté obscur de la nature humaine est intéressant parce qu’il est justement caché sous la surface », nous révélait David Cronenberg. « Le dévoiler, c’est agir un peu comme un explorateur, un scientifique ou un détective soucieux de chercher ce qui se dissimule derrière les apparences de la normalité. Cette exploration nous mène en des contrées sinistres et effrayantes, mais elle permet d’analyser les différents niveaux du réel, au-delà de celui qui apparaît de prime abord. » (1) Si le cinéaste approche désormais l’horreur organique sous un angle moins frontal que dans ses films précédents, sa fascination pour ce qui se cache sous l’épiderme est loin d’avoir disparu. Le temps d’une scène de cauchemar purement « cronenbergienne », les deux frères sont reliés par un appendice de chair qui soude leurs torses et que Geneviève Bujold déchire à coups de dents ! Cette scène n’aurait pas dépareillé dans Videodrome. Beverly Mantle considère d’ailleurs la jeune femme comme une mutante, du fait de son anatomie singulière, ce qui le pousse à concevoir de nouveaux instruments gynécologiques à l’aspect biomécanique digne de Giger. Et comme pour boucler la boucle avec son œuvre passée, Cronenberg demande à Stephen Lack, héros de Scanners, d’incarner l’artiste chargé de fabriquer ces objets inquiétants. Faux-semblants est donc le film de la transition, qui aura permis à son réalisateur de basculer progressivement de l’horreur populaire vers un cinéma plus cérébral. La presse « respectable » qui le considérait jusqu’alors comme un vulgaire pornographe lui érigea dès lors un trône d’artiste intellectuel et élitiste. Il est pourtant évident que l’auteur de Faux-semblants est rigoureusement le même que celui qui se rendit « coupable » de Frissons, Rage ou Chromsome 3.

 

(1) Propos recueillis par votre serviteur en octobre 2005.

 

© Gilles Penso

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