SYLVIE ET LE FANTÔME (1946)

Trois faux fantômes et un vrai spectre se bousculent dans cette comédie romantique fantastique riche en quiproquos

SYLVIE ET LE FANTÔME

 

1946 – FRANCE

 

Réalisé par Claude Autant-Lara

 

Avec Odette Joyeux, François Périer, Pierre Larquey, Claude Marcy, Jean Desailly, Paul Demange, Marguerite Cassan, Raymond Rognoni, Lise Topart

 

THEMA FANTÔMES

Pour son douzième long-métrage, Claude Autant-Lara s’intéresse à la pièce « Sylvie et le fantôme » d’Alfred Adam, et confie son adaptation au scénariste Jean Aurenche. Dans le rôle principal de cette romance fantastique sortie un an avant L’Aventure de Madame Muir, le cinéaste sollicite son actrice fétiche Odette Joyeux, qu’il a déjà fait tourner dans Le Mariage de Chiffon, Lettres d’amour et Douce. En 1946, la comédienne a trente-deux ans, est mariée depuis une décennie avec Pierre Brasseur et déjà mère du petit Claude, promis lui aussi à une prestigieuse carrière de comédien. Pourtant, grâce à son visage angélique et ses traits sans âge, Odette Joyeux s’avère étonnamment crédible dans la peau de Sylvie, une adolescente rêveuse qui vient de fêter ses seize ans. Sa performance ingénue et candide – à mille lieues paraît-il de son caractère véritable, de son propre aveu – rappelle un peu celle de Judy Garland dans Le Magicien d’Oz qui, elle aussi, trichait considérablement sur son âge pour incarner une toute jeune Dorothy.

Sylvie célèbre donc ses seize printemps dans le vaste château de son vénérable père, le baron Édouard (Pierre Larquey). Celui-ci, au bord de la faillite, se voit contraint de vendre à un marchand de tableaux peu scrupuleux le grand portrait d’Alain de Francigny, « le chasseur blanc », qui ornait les lieux. Or Sylvie est littéralement fascinée par ce personnage, qui courtisa jadis sa grand-mère et mourut par amour pour elle au cours d’un duel. La jeune fille est bouleversée par la vente du tableau, dont la vue égayait chacune de ses journées. Pris de remords, le baron décide d’engager un comédien pour jouer le rôle du fantôme d’Alain et venir hanter une soirée qu’il donne au château. L’acteur (Louis Salou) se présente, même si ce rôle « pour provinciaux » ne vaut pas les grandes représentations shakespeariennes dont il se vante. Mais deux autres hommes, entrés par effraction dans le château, se font eux aussi passer pour des comédiens afin de justifier leur présence non prévue. Le premier est un cambrioleur, Ramure (François Périer), pourchassé par la police. Le second est le fils du marchand de tableau, Frederick (Jean Desailly), tombé amoureux de Sylvie et venu la courtiser. Trois faux spectres vont donc se passer le relais pour tenter de consoler l’adolescente éplorée. Les choses se compliquent lorsque le véritable fantôme d’Alain fait son apparition et décide lui aussi de mettre son grain de sel…

Dans de beaux draps !

Avec quatre fantômes pour le prix d’un, le potentiel d’un riche enchaînement de quiproquos était grand. Le scénario de Jean Aurenche repose pourtant moins sur les situations vaudevillesques que sur la possibilité d’explorer les amours adolescentes et leurs différentes facettes. Car la triple personnalité des imposteurs recouverts d’un drap brille par sa disparité : le comédien imbu de lui-même, l’amoureux transi et le voleur gouailleur. Le premier d’entre eux n’est là que pour nous faire rire et se ridiculiser, mais les deux autres s’érigent en véritables rivaux que tout oppose. En se présentant à tour de rôle face à Sylvie et en se faisant passer pour de véritables revenants, ils exposent des personnalités complémentaires qui séduisent la jeune fille. L’un est triste et tendre, l’autre joyeux et brusque. En les combinant, on obtiendrait en quelque sorte l’âme sœur idéale. Mais cette fusion est impossible, pas plus que n’est envisageable l’union avec le véritable fantôme, dont le rôle a été confié à Jacques Tati. Pas encore cinéaste, alors tout juste acteur, le futur réalisateur de Jour de fête est parfait, son art de la pantomime se combinant à de très habiles effets spéciaux (obtenus à l’aide de surimpressions réalisées en direct avec une vitre) pour nous faire croire dur comme fer à cette présence venue de l’au-delà. A l’issue de cette aventure rocambolesque, Sylvie fera un choix et sortira définitivement de l’enfance pour devenir une femme… celle qu’Odette Joyeux était déjà dans la réalité depuis longtemps. On s’étonne bien sûr qu’un homme aussi peu fréquentable que Claude Autant-Lara, connu pour ses propos venimeux, ses idées xénophobes et ses sympathies politiques nauséabondes, ait pu signer une si jolie féerie. C’est sans doute l’un de ces miracles inexplicables dont seul le 7ème Art a le secret.

 

© Gilles Penso



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