L’EMMURÉE VIVANTE (1977)

Une œuvre imparfaite mais fascinante de Lucio Fulci, qui préfigure l’étrangeté inquiétante de ses essais ultérieurs

SETTE NOTE IN NERO

 

1977 – ITALIE

 

Réalisé par Lucio Fulci

 

Avec Jennifer O’Neill, Gabriele Ferzetti, Marc Porel, Gianni Garko, Evelyn Stewart, Jenny Tamburi, Fabrizio Jovine, Riccardo Parisio Perrotti, Loredana Savelli

 

THEMA POUVOIRS PARANORMAUX

Situé juste avant la tétralogie horrifique qui transformera Lucio Fulci en pape international du cinéma gore des années 70/80 (L’Enfer des zombies, Frayeurs, L’Au-delà et La Maison près du cimetière), L’Emmurée vivante évoque par son titre l’œuvre d’Edgar Allan Poe. Ce n’est sans doute pas un hasard, car à l’instar des écrits du père des « Histoires extraordinaires », le scénario co-écrit par Fulci, Dardano Sacchetti et Roberto Gianviti s’efforce de faire cohabiter une intrigue policière avec des éléments fantasmagoriques susceptibles de créer un climat insolite et anxiogène. En tête d’affiche, on découvre Jennifer O’Neill, qui change radicalement de registre après avoir fait chavirer le cœur et tourner la tête de tant de teenagers dans Un été 42 de Robert Mulligan. Oubliées les mélopées mélancoliques de Michel Legrand et les fragiles amours adolescents. La belle Jennifer plonge ici dans une atmosphère beaucoup plus trouble, les arpèges au piano du compositeur des Parapluies de Cherboug cédant le pas aux compositions pop-synthétiques enivrantes du talentueux Fabio Frizzi, qui fut souvent l’alter-ego musical de Lucio Fulci et sut doter les œuvres les plus emblématiques du maestro italien d’une couche supplémentaire d’étrangeté et de mystère.

La partenaire de John Wayne dans Rio Lobo incarne ici Virginia Ducci, une jeune femme qui possède depuis son enfance un don de clairvoyance. En 1959, en visite scolaire à Florence, elle eut la vision du suicide de sa mère. Depuis qu’elle a atteint l’âge adulte, les prémonitions continuent de scander son quotidien de manière plus ou moins marquante. Tout se précipite le jour où, après avoir accompagné son époux Francesco à l’aéroport, son esprit est frappé par une série d’images cauchemardesques : un miroir brisé, une démarche claudicante et une femme ensanglantée qu’on emmure vivante dans la cloison d’une maison inconnue. Son trouble s’accroît de manière fort compréhensible lorsqu’elle reconnaît les lieux du crime en visitant pour la première fois une maison qui appartient à son mari. Elle retrouve même le mur qui, selon sa vision, abrite le corps de la malheureuse victime. Elle n’y tient plus, s’empare d’outils et commence à percer le mur pour en avoir le cœur net. Son effort n’est pas déçu : derrière la cloison repose un squelette recroquevillé ! En toute logique, Francesco se retrouve accusé du meurtre de cette inconnue. Virginia va s’efforcer de disculper son époux tout en cherchant à percer le mystère…

Un squelette dans le mur

L’entrée en matière de L’Emmurée vivante est trompeuse. La mise en scène du suicide de la mère de Virginia semble en effet donner le ton. La femme se précipite du haut d’une falaise et son corps heurte la paroi rocheuse pendant la chute, déchiquetant horriblement son visage. L’effet est certes atténué par le manque de réalisme du mannequin utilisé, mais l’impact de la séquence reste fort. Pour autant, le reste du métrage n’est pas à l’avenant. Ce sera en effet le seul écart gore du film, qui cherchera par la suite à instiller le malaise de manière plus insidieuse et moins démonstrative. Car le cinéaste tient à nous faire entrer dans le cerveau tourmenté de son héroïne pour nous faire partager ses visions, et ce dès cette scène inquiétante où elle conduit seule sur l’autoroute et où chaque traversée de tunnel accroît une tension encore incompréhensible mais déjà très palpable. Fulci prend visiblement beaucoup de plaisir à zoomer sur le regard de Jennifer O’Neill, dont la photogénie indiscutable s’assortit d’une certaine gravité qui sied parfaitement à ce personnage de médium malgré elle. Et tandis que le futur réalisateur de Frayeurs multiplie les effets de style, les pièces du puzzle s’assemblent peu à peu jusqu’à ce que chaque élément de la vision de Virginia prenne son sens. Source d’influence manifeste du Kill Bill de Quentin Tarantino (qui réutilisera une partie de sa musique et recyclera à sa manière la scène claustrophobique de l’enfermement), L’Emmurée vivante s’achève sur un final abrupt qui nous ramène une fois de plus à Edgar Poe, évoquant la chute du « Chat noir » et du « Cœur révélateur ».

 

© Gilles Penso

 

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