BLACK CHRISTMAS (1974)

L’un des tout premiers slashers de l’histoire du cinéma met en scène les méfaits d’un tueur psychopathe dans une résidence étudiante

BLACK CHRISTMAS

 

1974 – CANADA

 

Réalisé par Bob Clark

 

Avec Olivia Hussey, Keir Dullea, Margot Kidder, John Saxon, Andrea Martin, Marian Wadman, James Edmond, Lynne Griffin, Leslie Carlson, Douglas McGrath

 

THEMA TUEURS

Après le coup d’éclat du Mort-vivant, Bob Clark s’attaque à un film d’horreur d’un genre très différent sur lequel il souhaite apposer une patte personnelle. Lorsqu’il découvre le scénario de Roy Moore titré Stop Me (« Arrête-moi »), le cinéaste entrevoit un fort potentiel mais aussi de nombreux ajustements nécessaires à sa propre vision. Pour son script, Moore s’est laissé inspirer par deux sources principales : la fameuse légende urbaine de la baby-sitter dans la maison et du tueur qui la menace au téléphone (recyclée avec beaucoup de talent dans l’inoubliable prologue de Terreur sur la ligne), mais aussi un fait divers qui ensanglanta la ville de Montréal pendant les fêtes de Noël de l’année 1943. Si Clark aime l’idée de base, il souhaite y injecter de l’humour, mettre en scène des personnages d’étudiants crédibles qui ne se contentent pas de jouer le rôle de « chair à saucisse » et changer le titre. D’où le choix de Black Christmas, la juxtaposition de ces deux mots (« Noël » et « Noir ») sonnant bien à ses oreilles. Les rôles principaux sont confiés respectivement à Olivia Hussey (la Juliette du Roméo et Juliette de Franco Zeffirelli), Keir Dullea (le héros de 2001 l’odyssée de l’espace) et Margot Kidder (révélée dans Sœurs de sang et future Loïs Lane de Superman). John Saxon est aussi de la partie, incarnant le rôle d’un policier qu’il reprendra presque tel quel dans Les Griffes de la nuit. Ce que personne ne sait alors, c’est que Black Christmas, tourné à Toronto pour un budget modeste de 620 000 dollars, s’apprête à faire date dans l’histoire du cinéma de genre.

Comme son titre l’indique, le film se situe pendant la période de Noël. L’action se déroule majoritairement dans une résidence pour étudiantes. La plupart d’entre elles sont parties rejoindre leurs familles respectives pour les fêtes de fin d’année, mais toutes ne sont pas dans ce cas. Certaines s’apprêtent donc à passer quelques jours ensemble sur place. L’ambiance festive est gâchée par une série de coups de fils anonymes de plus en plus sordides. À l’autre bout du fil, un interlocuteur passablement dérangé parle avec des voix différentes, hurle, insulte, pleure, bref crée un climat particulièrement anxiogène. Si certaines des étudiantes, dont la délurée Barb (Margot Kidder), tournent la situation en dérision, d’autres plus impressionnables comme Jess (Olivia Hussey) prennent les choses plus au sérieux. Plus étrange : leur amie Clare (Lynn Griffin), qui vient de faire sa valise et s’apprêtait à quitter les lieux, a disparu sans laisser de trace. Les spectateurs ont un coup d’avance, puisque Bob Clark nous a montré l’agression de la jeune fille par un assassin caché dans sa penderie, mais les étudiantes n’en savent rien et commencent légitimement à s’inquiéter. Épaulé par un assistant d’une désespérante incompétence, le lieutenant de police Ken Fuller (John Saxon) est mis au courant des coups de fil menaçants et de la disparition de Clare. Le téléphone est donc mis sur écoute et une grande battue s’organise dans le voisinage. Déjà peu rassurante, la situation ne va pas tarder à virer au cauchemar…

L’inspiration majeure d’Halloween

Soucieux de la maîtrise visuelle de son film, Bob Clark storyboarde toutes les séquences majeures et dote Black Christmas d’une très belle patine. La photographie sophistiquée de Reg Morris et la musique stressante de Carl Zittrer (construite principalement autour de glissandos dissonants sur des cordes de piano) contribuent grandement à l’atmosphère oppressante du métrage, que le réalisateur contrebalance avec un décalage humoristique permanent : l’exubérante Madame Mac (Marian Waldman) qui cache des bouteilles d’alcool partout dans la résidence, les excès de langage de Margot Kidder, la gêne du très prude Mr Harrison (James Edmond) face aux mœurs dépravées de la maison des étudiantes… Ces touches de légèreté ne sont pas là pour provoquer une lecture au second degré du récit mais bien pour brosser un portrait honnête de la vie étudiante des années 70. Ici, les filles ne sont pas filmées comme des victimes potentielles promptes à se déshabiller pour titiller la libido des spectateurs mâles – un cliché que Clark écarte d’emblée – mais possèdent une personnalité forte et se comportent de manière crédible. De même, si les meurtres sont inventifs et stylisés, le réalisateur ne cherche pas l’impact immédiat du gore mais plutôt l’établissement d’une angoisse durable. D’où l’utilisation de cette image répétitive perturbante : la première victime, figée dans un hurlement muet, le visage recouvert d’un sac plastique transparent, assise dans le grenier de la maison. Par ses audaces et ses partis pris atypiques (y compris un dénouement très ambigu), Clark vient sans le savoir de définir les codes d’un genre qui s’apprête à saturer les écrans quelques années plus tard : le slasher. John Carpenter s’inspirera d’ailleurs très largement de Black Christmas pour La Nuit des masques, réutilisant même l’idée d’un prologue en caméra subjective qui adopte le point de vue du tueur. Black Christmas aura droit à deux remakes officiels, l’un en 2006, l’autre en 2019.

 

© Gilles Penso

 

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