CRÉATURES CÉLESTES (1994)

Après trois films gore récréatifs, Peter Jackson montre une sensibilité insoupçonnée en nimbant un fait divers sanglant d’une poésie fantasmagorique…

HEAVENLY CREATURES

 

1994 – NOUVELLE-ZÉLANDE

 

Réalisé par Peter Jackson

 

Avec Melanie Lynskey, Kate Winslet, Sarah Peirse, Diana Kent, Clive Merrison, Simon O’Connor, Jed Brophy

 

THEMA RÊVES

Bad Taste, Les Feebles, Braindead : trois films plus fous, plus gore, plus bêtes et méchants les uns que les autres. Voilà le palmarès du cinéaste Peter Jackson en 1994. Son talent n’était alors plus à prouver, mais était-il sérieusement le réalisateur idéal pour porter à l’écran l’histoire romantique, tragique et véridique de Pauline Parker et Juliet Hulme, un récit sulfureux et vénéneux à mille lieues de ses débordements précédents ? Au vu de Créatures célestes, la réponse s’impose, évidente : non seulement Peter Jackson était l’homme de la situation, mais en plus on imagine mal un autre réalisateur adapter ce récit avec plus de justesse et de subtilité. Soucieux d’être le plus fidèle possible aux faits tels qu’ils se déroulèrent dans la réalité, Jackson tourne chaque fois que possible dans les lieux où se déroulèrent les événements. Même les voix off de la comédienne Melanie Lynskey reprennent mot à mot des passages du journal intime de Pauline Parker. Cette quête de réalisme est d’autant plus précieuse qu’il fera plusieurs fois basculer son film dans le fantastique pur en explorant l’imagination fertile de ses protagonistes. C’est justement la rupture entre ces échappées fantasmagoriques et la dure réalité qui font de Créatures célestes une œuvre si singulière.

Dans la Nouvelle-Zélande de 1952, Pauline Parker (Melanie Lynskey) est une adolescente solitaire qui fait un jour la connaissance de Juliet Hulme (Kate Winslet), une jeune Anglaise cultivée tout juste arrivée dans sa classe. Les deux filles, que tout oppose, deviennent très vite inséparables, excluant petit à petit tout le monde autour d’elles. Découvrant leur passion commune pour l’écriture, elles se lancent le défi de devenir romancières. Mais plus elles puisent dans leur imagination fertile, plus elles perdent pied avec la réalité. Leur relation exclusive finit par éveiller l’inquiétude de leurs parents. Le drame n’est pas loin. Mais l’effusion de sang choquante qui fit couler tant d’encre à l’époque dans la presse néo-zélandaise n’est pas la partie qui intéresse le plus Jackson. Le scénario qu’il co-écrit avec Fran Walsh s’intéresse avant tout à cette amitié absolue et exclusive. Que s’est-il passé dans l’esprit de ces deux jeunes filles pourtant à priori équilibrées ? Créatures célestes ne répond certes pas directement à la question mais nous offre la possibilité d’entrer dans leur cerveau pour y découvrir un jardin secret insoupçonné, terreau de la tragédie…

La clef du quatrième monde

La réussite du film repose en grande partie sur le choix de ses deux interprètes principales, éblouissantes de naturel. Toutes deux effectuent là leurs premiers pas à l’écran. Ce sera donc le pied à l’étrier pour les carrières de Melanie Lynskey (Mon oncle Charlie) de Kate Winslet (Titanic). Créatures célestes bascule dans le fantastique pur lorsqu’un jour Pauline et Juliet trouvent la clef de Borovnia, le « quatrième monde » médiéval imaginaire dans lequel elles rencontrent des licornes, des papillons géants, un magnifique château médiéval et des personnages en terre glaise, répliques grandeur nature des figurines qu’elles fabriquent et des héros qu’elles imaginent dans leurs romans. Au sein de leurs rêves éveillés, elles voient même Orson Welles surgir d’une projection du Troisième homme pour les poursuivre dans la rue, et jusque dans leur lit, où elles reproduisent en secret les ébats amoureux de leurs héros. Pauline et Juliet laissent volontairement l’imaginaire envahir leur quotidien. Le crime qui s’ensuivra, bien plus choquant que les débordements gores de Braindead parce que justement traité de manière terriblement sobre, découle de cette incapacité à vouloir distinguer le réel de l’irréel. Après ses trois escapades dans le gore, Peter Jackson fait ici preuve d’un étonnant éclectisme, salué par un Lion d’Argent au très prestigieux Festival de Venise. Personne ne le sait encore, mais il vient de paver la voie vers le projet de sa vie : Le Seigneur des anneaux.

 

© Gilles Penso

 

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