DANS LES HAUTES HERBES (2019)

Vincenzo Natali porte à l'écran une nouvelle co-écrite par Stephen King et Joe Hill et transforme un champ en labyrinthe cauchemardesque…

IN THE TALL GRASS

 

CANADA – USA

 

Réalisé par Vincenzo Natali

 

Avec Patrick Wilson, Laysla De Oliveira, Harrison Gilbertson, Avery Whitted, Rachel Wilson, Will Bluie Jr

 

THEMA VÉGÉTAUX I SAGA STEPHEN KING

Versatile, Vincenzo Natali exerce autant son talent sur le grand que le petit écran. Après le coup d’éclat de Splice (injustement passé inaperçu auprès du large public), on l’a vu ainsi imprimer sa patte inventive sur des séries telles que Hannibal, Wayward Pines, Luke Cage, The Strain, American Gods, Perdus dans l’espace ou Westworld. Le cinéaste révélé par Cube reste ainsi fidèle au genre fantastique qu’il se plaît à déployer sous toutes ses formes. En 2015, il s’intéresse fortement à la nouvelle « In the Tall Grass » co-écrite par Stephen King et son fils Joe Hill et publiée une première fois trois ans plus tôt dans le magazine « Esquire ». Fasciné par ce récit court muant en vecteur d’épouvante un environnement à priori totalement inoffensif, en l’occurence un champ d’herbes, Natali est prêt à relever le défi et à transformer le texte en film. Mais le projet met du temps à se développer et ne se concrétise finalement qu’en 2018, au moment où Netflix acquiert les droits de l’adaptation. Portant comme souvent la double casquette de scénariste et de réalisateur,Vincenzo Natali s’installe avec son équipe à Toronto, dans un décor extérieur au bord duquel il fait édifier une vieille église abandonnée. Pour s’adapter à l’horizontalité de ce site naturel canadien, il tourne le long-métrage dans un ample format Cinémascope. Les prémisses de Dans les hautes herbes évoquent beaucoup la saga des Démons du maïs, dont on retrouve ce grand champ inquiétant, ce couple en voiture arrêté en rase campagne, cet enfant étrange qui semble en détresse ou encore ces connotations religieuses et païennes mystérieuses. À ces motifs récurrents s’ajoute celui du labyrinthe végétal de « Shining » qui est ici décliné et décuplé jusqu’au vertige.

Dans les hautes herbes entre assez vite dans le vif du sujet, si vite que l’étrangeté s’y installe en un clin d’œil. A peine a-t-on le temps de nous familiariser avec ses deux personnages principaux. Becky (Laysla De Oliveira), enceinte de six mois, est en route vers San Diego. À ses côtés, Cal (Avery Whitted)tient le volant et tente de se montrer rassurant. Ce couple n’en est pas un, puisqu’ils sont frères et sœur. Mais l’ambiguïté perdure quelques minutes, et ce n’est pas en vain. Le lien qui unit ces deux êtres est en effet très fort, sans doute un peu trop. Alors qu’ils marquent une pause au pied d’une vieille église visiblement abandonnée, Becky et Cal sont intrigués par une voix qui surgit du grand champ de hautes herbes situé sur le bas-côté. C’est le cri d’un enfant perdu, qui cherche désespérément son chemin. Plus étrange encore, une autre voix – celle de sa mère ? – lui demande discrètement d’arrêter d’appeler à l’aide. Que faire ? Becky aimerait aller secourir cet enfant, d’autant que le son de sa voix laisse imaginer qu’il est tout près. Cal n’est pas très chaud mais accepte finalement de jouer les sauveteurs improvisés. Tous deux s’enfoncent donc dans ce grand labyrinthe vert, sans imaginer une seule seconde qu’ils s’apprêtent à basculer dans le cauchemar et l’horreur…

L’enfer vert

Dans les hautes herbes est un « film concept », exercice avec lequel Vincenzo Natali est familier depuis Cube. Il semble d’ailleurs vouloir prendre ici le contre-pied exact de son premier long-métrage, remplaçant la claustrophobie clinique par l’agoraphobie organique. L’enfermement glacial cède ainsi le pas aux grands espaces ensoleillés, mais la terreur est la même, celle de l’inconnu, de la perte de contrôle et du caractère insaisissable de certains personnages qui ne se révèlent qu’en cours de route. Dans ce domaine, la prestation de Patrick Wilson s’avère très étonnante, le héros de la saga Conjuring remplaçant au pied levé James Mardsen parti tenir la vedette du film Sonic. Le piège d’un tel scénario pourrait être son incapacité à déployer une intrigue digne de ce nom sur une longue durée. En effet, une fois la situation installée, nous nous interrogeons sur la capacité du film à rebondir suffisamment sans éviter les redites. Après tout, le texte écrit par King et Hill est assez succinct et ce postulat ressemble presque à un sujet de court-métrage. Mais Vincenzo Natali a de la ressource. En brisant les notions d’espace et de temps, en désorientant les personnages et les spectateurs, en déclinant le principe de la boucle spatio-temporelle pour mieux nous prendre au piège, il provoque une surprise permanente. Chaque pas dans ce champ infernal ouvre la voie vers de nouveaux rebondissements et de nouvelles frayeurs. Cinéaste extrêmement visuel – qui fit ses premiers pas comme storyboarder – Natali pare son film d’une mise en scène virtuose, saisissant l’incroyable photogénie de ces herbes interminables au sein de plans parfois vertigineux où la lumière évolue en même temps que le tempérament des personnages et où le monde se reflète dans les gouttes de roseau ou dans les yeux des corbeaux. Dans les hautes herbes met ainsi la beauté plastique au service de la peur. Du grand art.

 

© Gilles Penso


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