MACBETH (2021)

Joel Coen réinvente le classique de Shakespeare sous une forme épurée et graphique accentuant son caractère fantastique…

THE TRAGEDY OF MACBETH

 

2021 – USA

 

Réalisé par Joel Coen

 

Avec Denzel Washington, Frances McDormand, Brendan Gleeson, Corey Hawkins, Moses Ingram, Harry Melling, Ralph Ineson, Brian Thompson, Sean Patrick Thomas

 

THEMA SORCELLERIE ET MAGIE

Pour la première fois depuis les débuts de sa carrière de cinéaste, Joel Coen se lance dans un long-métrage sans son frère Ethan. C’est donc en solo qu’il écrit et met en scène cette adaptation de la célèbre pièce de Shakespeare déjà maintes fois portée à l’écran par le passé. Pour justifier une nouvelle version de cette sanglante tragédie médiévale, les partis pris artistiques du coréalisateur de Sang pour sang sont radicaux : un format 4/3, une image en noir et blanc, un tournage intégralement en studio, des décors ramenés à leur plus simple expression et une accentuation du caractère fantastique de l’œuvre d’origine. L’approche picturale semble donc vouloir se rapprocher du Macbeth d’Orson Welles réalisé en 1948. Mais si effectivement plusieurs des effets de style adoptés par Coen nous ramènent à la version « art-déco » du père de Citizen Kane, le Macbeth cru 2021 possède une singularité qui le rend unique en son genre. Pour interpréter les époux maudits, le réalisateur opte pour Denzel Washington et Frances McDormand. Ce choix n’est évidemment pas le fruit du hasard. Au-delà du charisme indiscutable de ces deux immenses comédiens (McDormand étant par ailleurs l’épouse de Joel Coen et la coproductrice du film), cette incarnation place les personnages dans une tranche d’âge crépusculaire. À 67 et 64 ans, ils sont bien loin des jeunes mariés du Macbeth de Polanski, ce qui décuple la démarche désespérée s’apprêtant à faire basculer les amants diaboliques dans la folie meurtrière.

Tourné en 36 jours seulement, le film s’appuie sur une reconstitution minimaliste de l’Ecosse du XIème siècle et assume d’emblée l’aspect surnaturel de son postulat. Trois oiseaux noirs volètent sinistrement dans un ciel blanc brumeux, puis la caméra nous ramène au sol où se tient recroquevillée sur elle-même une créature qui semble humaine mais dont les contorsions n’ont rien de naturel. C’est une sorcière, que joue l’étonnante Kathryn Hunter. Encore agitée par les stigmates de son corps de volatile, elle se démultiplie. Ses deux sœurs apparaissent sous forme de reflets dans une eau stagnante, puis comme de simples silhouettes noires qui l’accompagnent. C’est donc une figure ambigüe qui pourrait tout aussi bien être une vue de l’esprit, une illusion, une tache dans un cerveau fiévreux. Après avoir gagné vaillamment la guerre qui ravageait le pays, le chef des armées Macbeth (Denzel Washington) et son ami Banquo (Bertie Carvel) croisent cette créature triple sans comprendre à qui ou à quoi ils ont affaire. Les sorcières parlent par énigmes et annoncent l’avenir des deux hommes : Macbeth deviendra seigneur de Cawdor puis roi, tandis que Banquo engendrera une lignée royale. Puis les sœurs s’emmitouflent dans leurs manteaux noirs aux allures de robes de corbeaux, redeviennent volatiles et s’envolent. « Ces créatures étaient-elles ici, ou avons-nous mangé de la racine des fous qui emprisonne la raison ? » s’interroge Banquo. Mais leur prophétie s’immisce dans l’esprit de Macbeth et y creusent un sillon qui le mènera progressivement vers le meurtre et la folie…

La racine des fous qui emprisonne la raison

Tout le parcours de ce Macbeth vieillissant sera donc conditionné par l’envie de concrétiser cette prophétie. « Souvent, pour causer notre perte, les voix de l’ombre nous disent des vérités, nous charment avec de petits riens pour nous trahir », lui dit Banquo, comme pour le mettre en garde. Mais c’est trop tard. Le ver est dans le fruit et contamine bien vite une Lady Macbeth qu’on sent désespérée. Le bain de sang inexorable qui commence se nourrit de lui-même et va croissant en même temps que la démence. Là, le fantastique reprend le dessus à travers les hallucinations que provoque la culpabilité : une dague qui flotte dans les airs, un mort qui ressuscite, les sorcières prophétesses qui reviennent alimenter la paranoïa… D’une beauté époustouflante, les images de ce Macbeth tirent leur force de leur épure. On pense à Eisenstein, Bergman, Fritz Lang ou James Whale. Ces visions frappantes comme la minuscule silhouette de Lady Macbeth surplombant la falaise se muent presque en abstractions, métaphores de la solitude et du point de non-retour. Née de sa sobriété, la somptuosité du film touche tous les départements artistiques : la photo de Bruno Delbonnel, les décors de Stefan Dechant, les costumes de Mary Zophres, la musique de Carter Burwell. Fusion miraculeuse entre la sophistication cinématographique et la pureté du théâtre, le Macbeth de Joel Coen est sorti dans un nombre limité de salles avant sa diffusion sur Apple TV début 2021.

 

© Gilles Penso


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