PARKING (1985)

Francis Huster incarne un Orphée pop star dans l’un des nanars les plus invraisemblables de l’histoire du cinéma français…

PARKING

 

1985 – FRANCE

 

Réalisé par Jacques Demy

 

Avec Francis Huster, Laurent Malet, Keïko Ito, Gérard Klein, Marie-France Pisier, Jean Marais, Hugues Quester, Eva Darlan

 

THEMA MORT I MYTHOLOGIE

Dès les premières secondes, on sent que quelque chose cloche. Francis Huster en gros plan déclame à son épouse le « je t’aime » le moins crédible de tous les temps puis entonne une ritournelle sirupeuse avec une voix de fausset éraillée, tout en s’accompagnant de sa guitare qui continue de jouer même quand il la pose sur le canapé. Les amoureux se mettent alors torse nu et roulent sur le tapis devant la cheminée tandis que la « love song » continue péniblement d’occuper l’espace sonore. Sommes-nous dans une parodie ? Non, Parking est un film extrêmement sérieux et cette entrée en matière n’est qu’un apéritif. La suite est pire, bien pire. Mais que s’est-il passé dans la tête de Jacques Demy ? Au départ, les intentions du réalisateur des Parapluies de Cherbourg semblent pourtant louables. Nous sommes alors au début des années 70, Jim Morrison vient de mourir et le cinéaste développe l’idée d’un film consacré au destin tragique d’une rock-star qu’il couple avec l’envie de revisiter sous un jour moderne l’Orphée de Jean Cocteau. Pourquoi pas ? Dans le rôle principal, Demy pense à David Bowie. Ç’aurait été parfait, mais le héros de L’Homme qui venait d’ailleurs décline la proposition. Le second choix est Johnny Hallyday. C’est déjà moins excitant, tout en restant cohérent avec l’idée d’un chanteur idole des jeunes. Lorsque la future star de Terminus passe aussi son tour, ce nouvel Orphée commence à sentir le roussi. C’est alors qu’intervient le producteur Dominique Vignet (36-15 code : Père Noël) avec une idée de génie : pourquoi ne pas choisir Francis Huster ?

Face à cette proposition, Jacques Demy est perplexe. Huster n’est pas exactement l’image qu’il se fait d’une superstar de la pop music. Mais l’acteur a une grosse cote de popularité au Japon, ce qui devrait aider à financer le film. Quant aux chansons, il suffira de les faire interpréter par un vrai artiste musical. Daniel Levi effectue d’ailleurs quelques essais visiblement concluants avec le compositeur Michel Legrand. Sauf que le comédien tient à tout chanter lui-même, condition indispensable pour qu’il s’implique dans le film. Là, c’est le début de la fin. Demy aurait dû raisonnablement abandonner le projet, mais nous aurions alors été privés d’un nanar de compétition extrêmement drôle au second degré. Huster incarne donc Orphée, la star mondiale de la chanson qui se promène toujours avec sa guitare en bandoulière, même lorsqu’il traverse Paris en moto. Quand il débarque à Bercy pour ses répétitions, il est accueilli par une foule en délire (autrement dit une vingtaine de figurants qui crient mollement son nom). Alors qu’il gratte furieusement sa guitare électrique sur scène, il s’électrocute en s’agitant comme une carpe hors d’un étang et meurt. Charon (Hugues Quester) vient alors à sa rencontre (ses yeux s’éclairent en rouge comme Terminator) puis l’emmène dans une DS noire immatriculée ENF 75 jusqu’au septième sous-sol d’un parking. La voiture traverse un mur (en caoutchouc) et Orphée se retrouve aux Enfers, dans une administration dirigée par le grand Hadès (Jean Marais, maquillé outrancièrement et tout de rouge vêtu). Mais c’est une erreur de paperasse, comme dans Le Ciel peut attendre. Orphée est donc renvoyé chez les vivants, persuadé d’avoir rêvé…

Bonheur de vivre et de chanter

Rien ne va dans Parking. Les paroles des chansons écrites par Demy sont d’une hallucinante puérilité (« Un jour sans toi je suis triste, quand tu n’es pas là rien n’existe »), leur interprétation atroce par Francis Huster distend chaque syllabe jusqu’au point de rupture (« tu t’es a-ppro-chée de mouahh »), le tout accompagné de mimiques douloureuses… Même en dehors des passages chantés, tout sonne faux dans le film : la moindre expression de visage, le plus petit geste, la réplique la plus anodine. Cette capacité à ne jamais être juste finit par devenir fascinante. Dans ce domaine, Parking devient quasiment un cas d’école. Face à Huster qui déclame ses répliques simplistes comme s’il était sous acide (« J’aime chanter, chanter c’est donner du bonheur ») et sa bien-aimée japonaise (Keïko Ito, sélectionnée pour évoquer Yoko Ono) qui récite ses dialogues en phonétique, Gérard Klein et Laurent Malet jouent les utilités d’arrière-plan sans beaucoup de conviction (ce dernier aura tout de même droit à une scène de baiser fougueux avec Orphée, allez savoir pourquoi). Et que dire de cette superbe cascade avec un motard en mousse qui s’écroule contre un mur ? Parking sera bien sûr un échec cuisant, renié presque aussitôt par un Jacques Demy très embarrassé. Mais pour les fans d’œuvres déviantes et de navets risibles, le film est devenu immédiatement culte, tout comme ses chansons invraisemblables : « Célébration », « Entre vous deux », « Eurydice, où es-tu ? » et bien sûr l’incontournable « Bonheur de vivre et de chanter ».

 

© Gilles Penso


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