DOCTOR STRANGE IN THE MULTIVERSE OF MADNESS (2022)

Sam Raimi vient faire un tour chez Marvel pour marquer de son empreinte les aventures du « Maître des Arts Mystiques »…

DOCTOR STRANGE IN THE MULTIVERSE OF MADNESS

 

2022 – USA

 

Réalisé par Sam Raimi

 

Avec Benedict Cumberbatch, Elizabeth Olsen, Chiwetel Ejiofor, Rachel McAdams, Benedict Wong, Xochitl Gomez

 

THEMA SUPER-HÉROS I MONDES PARALLÈLES ET MONDES VIRTUELS I SORCELLERIE ET MAGIE I SAGA MARVEL COMICS I MARVEL CINEMATIC UNIVERSE

Sam Raimi est un cas vraiment à part. Même au sein de films de commande comme Le Monde fantastique d’Oz, il parvient à tirer son épingle du jeu en imposant non seulement son style et son univers – tant de fois imités, jamais égalés – mais aussi une vision très lucide des travers hollywoodiens masqués par une intrigue métaphorique. Allait-il pouvoir continuer à laisser émerger sa personnalité dans une machine aussi codifiée que le Marvel Cinematic Universe ? L’homme qui sut redéfinir les règles du jeu en matière de film de super-héros moderne (avec Darkman et surtout Spider-Man) avait-il encore son mot à dire dans un monde désormais saturé de justiciers en collants ? Il faut croire que non. Car pour être honnête, Doctor Strange in the Multiverse of Madness est moins un film de Sam Raimi qu’un film qui cherche à ressembler à un film de Sam Raimi. Le réalisateur prend bien soin de rappeler les spectateurs à son bon souvenir par l’entremise de signatures tellement voyantes qu’elles ressemblent à des autocitations forcées, comme si le tout-puissant producteur Kevin Feige lui disait en substance : « Vas-y Sam, fais plaisir à tes fans, montre-leur que tu es là », tout en lui soumettant un cahier des charges rempli à ras-bord de passages obligatoires. Non content de devoir tenir compte des 27 longs-métrages qui l’ont précédé, ce second Doctor Strange doit aussi intégrer les péripéties des séries TV Loki, WandaVision et What if ? produites pour Disney +. Charge au scénariste Michael Waldron de construire un récit cohérent à partir de cette infinité de contraintes.

Or le scénario est justement le point faible majeur du film. Showrunner de Rick et Morty, Good Game, Loki et Heels, Michael Waldron s’efforce d’adapter son savoir-faire télévisé aux nécessités d’un long-métrage cinématographique sans jamais y parvenir. Le film enchaîne donc les séquences sans rigueur, sans cohérence, sans chercher à bâtir le moindre enjeu dramatique digne de ce nom. On ne s’attarde pas trop, on sature l’écran d’images de synthèse, de nouveaux personnages, de bruit et de fureur, histoire d’annihiler les sens du public et de l’empêcher de pousser trop loin la réflexion. Les protagonistes passent eux-mêmes instantanément d’un sentiment et d’une attitude à l’autre (la joie, la peine, la peur, le cynisme blagueur, le sérieux papal), au bon gré des besoins immédiats de l’intrigue et au mépris de la logique la plus élémentaire. Comment s’attacher à eux et à leur sort ?

Marvel Zombies

L’aspect le plus fascinant de Doctor Strange in the Multiverse of Madness est l’adéquation – sans doute involontaire – entre son sujet et sa nature. Le récit s’appuie en effet sur les conséquences désastreuses des « incursions », autrement dit le surgissement de personnages appartenant à un univers dans un autre univers qui n’est pas le leur. Or c’est exactement ce qui se passe en coulisses. Sam Raimi cherche tant bien que mal à faire une incursion dans le Marvel Cinematic Universe. Pour s’affirmer, il projette à l’écran ce qu’on attend de lui : des monstres, du gore, de l’humour cartoonesque, des démons grimaçants, des zombies et Bruce Campbell. Cette profusion de « marques de fabriques » héritées de la trilogie Evil Dead serait réjouissante si celles-ci s’intégraient avec fluidité dans le film. Mais il n’en est rien. Le scénario de ce 28ème film estampillé Marvel n’étant qu’un capharnaüm chaotique d’idées éparses passées au shaker, les clins d’œil que nous adresse le grand Sam tombent à plat. Au beau milieu de ce bric-à-brac déstabilisant qui alterne une violence frontale digne de The Boys avec les bonnes blagues héritées des Spider-Man de Jon Watts, une séquence sublime surnage pourtant. Le temps d’un affrontement qui semble conçu comme un cadeau offert au compositeur Danny Elfman, Doctor Strange in the Multiverse of Madness nous offre un moment de poésie surréaliste d’une beauté inouïe. Ne serait-ce que pour ces quelques minutes – et aussi avouons-le pour la scène de la pieuvre géante cyclopéenne et pour la seconde séquence post-générique – ce film sans queue ni tête mérite d’être visionné.

 

© Gilles Penso


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